8th Wonderland: Le Pays de la 8ème Merveille
Dans un monde où les véritables problèmes sont laissés de côté ; Dans une société qui n’a que faire des laissés-pour-compte, un site Internet voit le jour : 8th Wonderland. Un lieu où l’on débat sur des sujets aussi sensibles que les conflits entre les peuples ou les contrats de grosses multinationales en jeu. Une démocratie virtuelle qui, peu à peu, prend de l’ampleur. Son pouvoir s’accroît au même rythme qu’une influence démesurée. Et si ces citoyens militants avaient la possibilité de changer les choses ?
Premier long-métrage du tandem Nicolas Alberny / Jean Mach, 8th Wonderland se targue de frapper fort avec un concept des plus original : se servir d'Internet pour agir dans la réalité. Un paradoxe pour le moins saugrenu, pour ne pas dire déstabilisant, qui prend une symbolique insoupçonnée à mesure que le film progresse. Et pourtant, l’histoire avance, mais pas dans la manière dont on pourrait s’y attendre. Au lieu de se contenter d’une narration très classique, les deux cinéastes font fi des acquis afin de se concentrer sur un réseau de circonstances qui forment la toile contextuelle d’un monde qui part à vau-l'eau.
Le parallèle de notre société avec les cafards est très intéressant.
Certes, la première approche du matériau peut décontenancer. Les enjeux sont clairement établis, mais les différents intervenants ne se révèlent en fait qu’une simple fenêtre vers un point de vue tout aussi subjectif que les citoyens qui égrènent les lignes de codes de ce site. D’ailleurs, cette image est parfaitement représentée lors des très nombreuses séquences de dialogues où chaque membre se retrouve « emprisonné » dans une petite fenêtre qui circule autour d’autres. Dès lors, nous avons droit à une succession de conciliabules débattant tant sur les licenciements abusifs que sur la peine de mort.
Sauvez la dinde !
Outre une indéniable fraîcheur visuelle dont le modeste budget ne semble nullement l’handicaper, 8th wonderland repose son concept sur la participation de chacun à changer le monde. Une idée naïve ? Sans doute, mais loin d’être irréalisable quand on se donne les moyens de réunir les différents éléments pour accéder à son objectif. Ainsi, 8th wonderland, premier pays virtuel non reconnu par les autorités, n’a pas de frontière, pas de limite. Il revient aux bases mêmes de l’internet et, pourquoi pas, d’une certaine utopie dans le cadre d’une forme de communication abolissant les dissemblances culturelles ou sociales à travers ce formidable outil technologique.
Le Vatican commercialise dès à présent des préservatifs goûts hostie.
« Changer le monde », trois mots qui semblent avoir un impact aussi pesant sur nous que la planète sur les épaules d’Atlas. Tout le monde y a déjà songé au moins une fois (du moins, je l’espère), mais combien se sont entrepris dans cette tâche titanesque. « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » disait Hegel. Cette passion nous la retrouvons chez ces internautes engagés. L’altruisme et la compassion en sont les principaux moteurs pour faire avancer leur cause. Celle qui a été trop longtemps manipulée et oubliée par les hommes de pouvoir. Celle qui n’a jamais cessé de hanter les esprits les plus clairvoyants. C’est pour cela que 8th wonderland existe.
Le début de la dérive ?
Ainsi, les problèmes d’actualité sont mis en exergue à travers un pamphlet virulent sur l’absurdité de nos préoccupations et les priorités tout simplement futiles. L’exemple le plus probant, et sans doute le plus amusant, est la séquence de la dinde graciée. Alors que la peine de mort est toujours en vigueur, les militants labourent un terrain où les masses sont sympathisantes d’une solution arbitraire et de facilité. La dinde engrange davantage d’empathie chez le citoyen qu’un être humain. Cocasse, mais surtout consternant d’un point de vue éthique. Non sans une certaine ironie bien placée, on nous octroie ainsi La bible de Darwin (pas le roman de James Rollins) ou même les distributeurs de préservatifs goûts hostie au Vatican !
Le déroulement du film se compose en grande partie de ce type de conciliabule.
L’on se rend compte du cynisme puéril parmi lequel nous évoluons et les conséquences qui en découlent à tous les niveaux. Problèmes sociaux, environnementaux, économiques, sanitaires, la liste s’allonge et semble sans fin. Notre aveuglement devient alors synonyme de lâcheté et de pleutrerie à l’égard des véritables questions qui seront le ferment de notre avenir. Mais comment combattre un système aussi pourri et égocentrique avec des paroles ? On ne peut pas et cela marque le point de basculement dans l’histoire. L’éradication des problèmes nécessite des méthodes peu regardantes sur la bonne conduite à tenir. 8th wonderland sombre lentement, mais sûrement dans la clandestinité.
Non, cette image fait belle et bien partie du film.
Alors que le dialogue était privilégié sur toute forme de violence, les actions deviennent plus radicales et brutales. La démocratie qu’ils défendaient passe au second plan pour satisfaire des actions coup-de-poing afin de faire réagir les politiques. Outre la mise à mort d’un président véreux en totale contradiction avec leurs idées, le narcissisme s’insinue peu à peu dans les rangs. L’histoire prend alors une tournure inattendue, pour ne pas dire incontrôlée. Dès lors, l’ironie teintée de cynisme se mue en un constat amer sur les conséquences qu’engendre pareille entreprise. Si les méthodes sont aussi similaires et violentes de celles du pouvoir en place, à quoi bon les dénoncer ?
L’ironie au service du cynisme. Ce plan résume à lui seul tout le film : fort et audacieux.
Réalisé à la manière d’un journal télévisé version longue où l’on suivrait sur une échelle de temps plus large, 8th wonderland est une production française comme on aimerait en voir plus souvent. Il n’est nul besoin de budget faramineux pour créer de bons films. Il suffit d’un peu d’ambition et de beaucoup de talents afin de donner vie à des œuvres, certes imparfaites, mais ô combien uniques et complexes lorsque l’on dissèque son histoire. En choisissant de traiter la globalité de tous les problèmes qui nous accablent, les deux réalisateurs prennent de gros risques. Notamment, celui de se perdre dans une narration brouillonne et informe. On peut constater quelques errances (surtout au départ), mais l’ensemble demeure fluide et très immersif. Un film unique et ambitieux qui remplit allègrement son contrat.