Heartless
Depuis la mort de son père, Jamie Morgan vit seul avec sa mère dans un modeste appartement situé dans les quartiers pauvres de Londres.
Solitaire et réservé, à cause d'une tache de naissance en forme de coeur parcourant une grande partie de son visage, il fréquente peu de gens, hormis sa famille. Passionné de photographie, il sillonne les rues la nuit, en quête d'images sortant de l'ordinaire.
Un soir, il assiste, impuissant, à la mise à mort d'un homme et de sa fille, brûlés vifs. Le gang d'assassins, qui porte d'étranges masques de démons, saisissants de réalisme, remarque Jamie, qui réussit à fuir. Mais il ignore qu'il a été suivi.
Suite au meurtre de sa mère et de son meilleur ami, Jamie, ivre de colère, est prêt à tout pour se venger des mystérieux meurtriers. Il reçoit alors un étrange appel sur son portable, lui proposant une rencontre qui va bouleverser son existence.
Troisième long-métrage de Philip Ridley (Darkly Noon), Heartless peut être vu comme une énième variation sur le mythe de Faust, et ses multiples conséquences.
Ce film évoque avant tout la violence urbaine, omniprésente dans notre société. Ridley dépeint un Londres pauvre et sauvage, qu'il filme surtout de nuit, réaliste et sordide, avec sa population interlope, composée d'anonymes isolés et craintifs, tel Abel Ferrara avec New York (Driller Killer).
Jim Sturgess restitue à merveille cette solitude maladive et sans issue, surtout durant la première heure du film.
Cousin britannique d'un Donnie Darko, Jamie joue les Peeping Tom nocturne. La photographie, son unique passe-temps, en est la meilleure illustration : il observe plus qu'il n'agit. Il finira par subir avant de se révolter, avec l'aide d'un duo antinomique qui fera passer ce métrage du drame urbain au fantastique.
Dès la rencontre entre Jamie et Papa B, Heartless dévie en effet vers le surnaturel. On comprend bien vite que cet étrange personnage est le Diable.
L'aspect incongru de ses acolytes (la petite hindoue Belle, qui se prendra d'affection pour le héros, le maître d'armes, et sa maléfique baguette de sourcier) apporte une originalité qui ne fait que rendre encore plus prenant un suspense savamment distillé par un cinéaste qui soigne admirablement sa photographie (cf le jeu de couleurs de la scène dans l'immeuble Cendrillon House) et qui a parfaitement choisi ses comédiens, tous excellents.
En échange d'une beauté sans taches, notre héros devra offrir une vie à Papa B, afin de faire perdurer le chaos et la confusion.
Sarcastique, la scène du meurtre dévoile également la dualité de l'être humain dans toute sa splendeur : la beauté du corps du héros masquant désormais une âme sombre et torturée.
La morale du film est donc que l'on ne peut pas tout avoir, et que l'Homme est foncièrement mauvais, ses instincts primitifs pouvant ressortir à chaque instant. Les lueurs d'espoir du héros (l'amour de ses parents et de Belle), sont en effet de bien minces consolations vis-à-vis du climat ambiant (gangs de rues dans lequel est embringué son neveu, mensonges de la part de la femme qu'il aime et de Papa B, qui ne lui a finalement pas effacé ses marques, moqueries et persécutions qu'il subit chaque jour).
L'épilogue nous conforte dans cette opinion pessimiste, même si l'on peut aussi se dire qu'il s'agit là de l'unique porte de Salut pour un être rejeté pour sa différence, dans un monde qu'il ne comprend pas et qu'il avait déjà souhaité quitter (cf les marques sur son poignet).
On regrettera quelque peu un final assez brouillon, entassant pêle-mêle trop de rebondissements, finissant par faire patauger le spectateur dans un fatras allant à l'encontre du reste du métrage, autant lisible que troublant.
Film intimiste associant avec un talent indéniable divers thèmes, Heartless est une oeuvre assez marquante, preuve de la bonne santé du cinéma fantastique britannique.
On suivra avec attention les prochains projets de son réalisateur, jusqu'ici assez rare au cinéma (trois films en vingt ans).
Un film de Philip Ridley
Avec : Jim Sturgess, Noel Clarke, Clémence Poésy, Nikita Mistry