Hérédité
Alors que de nombreux studios de production parient sur des succès sans risque, rendant le paysage du cinéma de genre relativement morne, il est certaines fulgurances inattendues. Bien que rares, ces pépites du septième art révèlent des talents tels que Fede Alvarez, Jordan Peele ou, en l’occurrence, Ari Aster. Jeune novice dans la réalisation de long-métrage, son premier film bénéficie d’une réputation qui le précède. Ce type de commentaires a beau être subjectif et généralement voué à enjoliver l’enrobage marketing, il n’en demeure pas moins un fond de vérité au vu de l’originalité et de l’étrangeté de son premier projet d’envergure.
Avec un synopsis volontairement sibyllin, Hérédité s’avance comme une œuvre déconcertante à plus d’un titre. Preuve en est avec cette ouverture où la caméra se joue des perspectives et des points de vue. D’emblée, le cinéaste renverse les valeurs et les repères auxquels le public est coutumier. Cela passe par une artificialisation de la réalité et une personnification d’objets inertes tels que les maquettes. La transition entre ces deux plans est subtile, magnifiant mensonges et illusions, comme si l’on voulait mettre l’accent sur la manipulation des protagonistes au profit d’une progression déterministe et, néanmoins, si imprévisible.
Le spectateur a beau se montrer prudent, tenter d’identifier les « signes » qui seraient à même de trahir le fond de l’histoire. Il ne distingue pourtant que des pièces de puzzle éparses. Hérédité ne n’insinue pas dans un traitement horrifique pur. Il joue de détours et de la dramaturgie de son propos pour mieux ancrer ses personnages et son scénario dans un quotidien qui se délite graduellement. Certes, le rythme est très lent, semblable à The Witch. Il n’en demeure pas moins une patience à toute épreuve pour développer son atmosphère oppressante. Là encore, il est difficile d’identifier la frontière entre des faits avérés et les délires paranoïaques des principaux intéressés.
Malgré la discrète présence d’éléments propres au genre, Hérédité n’appartient pas à la catégorie de film de hantise, voire de possession. Il en a certains atours, mais s’affranchit de toute comparaison. En cause, une occultation pure et simple des subterfuges et autres techniques pour instiller un climat d’effroi. On évite les apparitions explicites ou les portes qui claquent. Même les incursions dans les recoins sombres ou les séances de spiritisme sont exposées de telle manière à privilégier le « réalisme » de phénomènes paranormaux. La réussite de l’exercice tient à rationaliser les séquences avant de faire voler en éclats les derniers doutes.
Dès lors, l’occultisme, la perte d’un proche ou la question de la maternité sont des thèmes centraux qui trouvent une résonnance particulière. De considérations nihilistes, on sombre progressivement dans un cauchemar éveillé sous couvert d’une tragédie familiale. La lecture de l’intrigue, notamment celle du dénouement, peut se faire à plusieurs niveaux pour creuser une interprétation plutôt qu’une autre. En l’occurrence, il s’agit d’une subjectivité que l’on peut aussi assimiler à une métaphore de la détresse et de la souffrance psychologiques des protagonistes. Autre possibilité, les révélations débouchent sur une manipulation pleine d’ironie, car vaine et implacable.
Au final, Hérédité est un film étrange et singulier qui tranche radicalement avec les a priori (positif ou négatif) que l’on peut nourrir envers le cinéma horrifique. Sur fond d’une approche dramatique, ce premier métrage d’Ari Aster fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise exceptionnelles. Des thématiques brassées à la qualité de la mise en scène, sans oublier son ambiance angoissante au possible, cette incursion détonante n’hésite pas à malmener ses personnages et son public. À la manière de The Witch, le rythme est sciemment mesuré pour se focaliser sur les individus et les épreuves qu’ils traversent. Une œuvre dense, percluse de subtilités visuelles et psychologiques afin de proposer une véritable expérience.