L'emprise des ténèbres
La réputation de Wes Craven s’est forgée au cours des années 1970 et 1980, notamment grâce à La colline a des yeux, mais surtout avec Les griffes de la nuit. Entre temps, le réalisateur propose également des téléfilms plus ou moins anecdotiques, comme Invitation en enfer et L’été de la peur. Aussi, on ne peut que saluer ses efforts pour avoir transcendé le genre horrifique sur certains aspects et lui avoir offert des figures emblématiques telles que Freddy ou Ghostface. Si la qualité de sa filmographie reste variable avec quelques ratages (Terreur froide, Un vampire à Brooklyn...), on lui doit quelques métrages moins connus. L’emprise des ténèbres est certainement son film le plus sous-estimé.
Baron Samedi vous salue bien !
Il est vrai que la progression aurait gagné à être moins fluctuante, alternant les phases d’investigations avec des séquences nerveuses sans vraiment soigner la cohérence d’un point de vue temporel. Mais il s’agit bien là du seul point de détail susceptible d’atténuer l’excellence qui émane d’une atmosphère à nulle autre pareille. Et pour cela, le récit s’inspire sur le livre de Wade Davis et de faits réels. Si cette dernière appellation est souvent sujette à caution de nos jours, elle était plus pertinente dans les années1980. Ici, la transposition des événements s’appuie sur un prétexte crédible et non dénué d’intérêt pour développer une approche originale.
En l’occurrence, on se penche sur les pratiques vaudou en Haïti. Sous couvert de recherches pharmacologiques, on découvre progressivement la culture et les coutumes locales, notamment ce qui a trait à l’occultisme et au syncrétisme religieux. Les mythes et légendes sont intégrés aux croyances chrétiennes sans contradiction aucune. Il en ressort une vision singulière, non moins mystérieuse, que l’on pourrait qualifier d’ésotérique par le déroulement des rituels et le respect des traditions. Et sur ce point, le film parvient à retranscrire une angoisse toute latente. Ce n’est pas forcément la mort qu’il faut craindre, mais l’errance perpétuelle d’un corps dépourvue d’âme.
Après les cannibales, les zombies...
Pour ce faire, la thématique des zombies est placée dans un contexte réaliste. Cela peut paraître saugrenu et pourtant le fait de développer les justifications autour de la «poudre de zombification» et de s’attarder sur ses effets physiques et psychologiques étonne à plus d’un titre. L’absence de réactions ou de signes vitaux peut donner lieu à toute sorte de dérives, comme l’enterrement vivant. Une idée récurrente qui passe du stade de la simple phobie (avec le côté irrationnel que cela comporte) à la réalité. Là encore, le contact avec un mode de vie différent des mœurs occidentales accentue le contraste et l’ouverture vers un nouveau champ de possible.
Les investigations et les recherches pour découvrir le secret des morts qui reviennent à la vie se montrent progressives et relativement pertinentes dans l’avancée des propos. Ceux-ci se déroulent parfois dans des états hallucinés. De fait, la distinction entre le fantasme et la réalité est plus ambivalente qu’escomptée. La transposition des peurs du protagoniste à l’écran trouvant une curieuse résonnance avec les événements en devenir. On pourrait même parler de visions prophétiques ou sujettes à de sombres prémonitions. L’horreur, si elle est présente dans le dernier quart d’heure, restera à dessein dans l’appréhension toute psychologique que s’en fera le spectateur.
Vous pouvez embrasser la mariée.
Au final, L’emprise des ténèbres bénéficie d’une atmosphère exceptionnelle qui réussit à retranscrire le folklore haïtien dans un contexte oppressant. En parallèle de considération pragmatique (la recherche du médicament «miracle», la situation politique...), l’intrigue est une plongée progressive dans des croyances ancestrales. L’amalgame entre superstitions et réalité y est particulièrement probant pour flouer les frontières du fantastique et du tangible. La peur est ici entretenue d’une manière subtile pour mieux emporter son public dans les tourments du protagoniste. Une odyssée sombre et parfois éprouvante qui se solde comme l’une des meilleures bobines de Wes Craven.
Un film de Wes Craven
Avec : Bill Pullman, Cathy Tyson, Zakes Mokae, Paul Winfield