La Féline
Attention, cette critique contient des spoilers.
Brillant architecte, Oliver croise au zoo la jeune Irena, tombe il tombe éperdument amoureux.
La jeune femme, étrangère, vient d'arriver aux Etats-Unis, et passe ses moments libres à observer une panthère noire, qui l'obsède littéralement.
Environ dix ans après le début de l'âge d'or de la Universal, le cinéma fantastique américain cherche à se renouveler. La Féline fait partie intégrante de ce second souffle, certes moins prolifique que le premier, mais tout aussi réussi.
Les monstres des années 30 cèdent bien volontiers leurs places à des êtres marginaux et doubles, auxquels les spectateurs pourront davantage s'attacher, éprouvant au passage ce manichéisme si cher à nos voisins d'outre-Atlantique.
Ainsi, après la partition remarquable de Spencer Tracy dans une nouvelle adaptation du Jekyll et Hyde de Stevenson (1941), c'est au tour d'un personnage féminin fort mystérieux de s'installer dans les salles obscures un an plus tard.
Ayant une corrélation lointaine avec le loup-garou (dans certains films lycanthropiques, l'animal peut prendre l'apparence d'un loup), la Féline s'éloigne radicalement de tout ce qui avait été vu auparavant. Tout d'abord, il offre un rôle fort à un personnage féminin, une rareté dans le cinéma fantastique. Ensuite, le caractère mauvais de l'héroïne est ici souvent altéré par sa douceur et son innocence.
L'innocence fait d'ailleurs partie des thèmes importants du film, Irena pensant que le premier baiser offert à son fiancé (et encore plus sa virginité) pouvant engendrer le réveil de la bête qui sommeille en elle.
La française Simone Simon apporte l'intensité nécessaire à ce personnage, sachant parfois s'effacer pour mieux resurgir dans des scènes où sa beauté mélancolique et sa fureur animale font merveille.
La mise en scène de ce film revenait aussi à un français, Jacques Tourneur. Ayant assuré la majeure partie de sa carrière aux Etats-Unis, Tourneur est surtout réputé par la qualité de ses oeuvres d'épouvante, sachant y instaurer un climat oppressant. Après la Féline, il signera Vaudou et surtout l'excellent Rendez-vous avec la Peur.
Le soin qu'il apporte à chaque plan, aux jeux de lumières (comme la scène de la piscine), en évitant de tomber dans les écueils du genre, font du travail de Tourneur sur ce film un réel gage d'intelligence artistique et technique.
Dès lors, il est difficile de résister au charme de ce classique qui n'a pas pris une ride, le scénario osant également braver quelques interdits de l'époque.
En effet, le héros, patient et docile avec Irena au début, finira par abandonner celle-ci au détriment de sa confidente, allant même jusqu'à demander le divorce. Ce trio devient quatuor lorsque le psychiatre d'Irena tente de la séduire. La chasteté de l'héroïne lui est nécessaire pour rester humaine, mais l'isole de son époux, tandis que la jalousie qu'elle éprouve à l'encontre d'Alice finira par la rapprocher irrémédiablement de la panthère.
Au delà de la légende évoquée dans le film, cette créature représente en fait nos instincts les plus innés et le désir, la jalousie puis la haine consumant Irena finiront par la transformer, tandis que ces mêmes sentiments auront tendance à être bénéfiques pour les autres personnages.
Les autres thèmes phares du film sont l'isolement et le rejet.
Ainsi, alors qu'elle effraie tous les animaux, Irena n'attire pas grandement la sympathie chez ses congénères. Se sentant seule et désabusée, Irena commet un geste final qui semble arranger le couple survivant, Tourneur s'éloignant encore ici des sentiers battus, le cinéaste Paul Schrader ajoutant hémoglobine et sexualité quarante plus tard dans un troublant remake à (re)découvrir.
Film racé et moderne, la Féline fait aujourd'hui partie des classiques du genre, avec l'un des personnages féminins les plus marquants du cinéma fantastique.
Un film de Jacques Tourneur
Avec : Simone Simon, Kent Smith, Tom Conway, Jane Randolph