La malédiction d'Arkham
Si Lovecraft est considéré comme l’un des plus grands écrivains du XXe siècle, son succès n’a pas toujours été constant, voire tardif. Une influence posthume qui, au début des années1960, n’en était encore qu’à ses balbutiements. Alors que Roger Corman multipliait les réussites commerciales avec les adaptations de l’univers de Poe (La chute de la maison Usher, La chambre des tortures...), il s’apprêtait à se pencher sur le poème The Haunted Palace. Néanmoins, le script n’était pas prêt. Il fallut donc modifier la tournure du film avec une nouvelle de Lovecraft (L’affaire Charles Dexter Ward) tout en conservant une infime partie du matériau d’origine (des citations), ainsi que son titre (Edgar Poe’s The Haunted Palace).
Un séjour dans une petite ville si tranquille...
Ceci étant, l’œuvre de Lovecraft est difficilement transposable à l’écran. Elle aura rarement donné des résultats convaincants. Pourtant, La malédiction d’Akham jouit d’une excellente réputation. Ce n’est pas tant la trame qui s’arroge certaines libertés temporelles et contextuelles avec l’histoire de base qui importe. Arkham (Le monstre sur le seuil, La couleur tombée du ciel) prend la place de Providence et le XXe siècle devient le XIXe, sans doute pour davantage coller à une ambiance gothique qui n’est pas sans rappeler certaines productions américaines et britanniques de l’époque. Malgré ces écarts, il n’en demeure pas moins que le fond et les enjeux restent les mêmes.
L’occultisme est facilement assimilable aux affaires de sorcellerie du XVIIe siècle. Preuve en est avec l’introduction typique qui s’impose comme principale justification pour la suite des événements. Dès lors, tout le matériel relatif à la mythologie Lovecraftienne et celle des Grands Anciens s’insinuent dans la trame. Outre L’affaire Charles Dexter Ward qui occupe la majeure partie du présent métrage, on songe également à L’abomination de Dunwich par certaines séquences au cœur du village d’Arkham. Invocation maléfique oblige, le Necronomicon a son importance dans les rituels infâmes que commet Joseph Curwen. En somme, le lecteur averti de Lovecraft y retrouvera les éléments principaux qui ont forgé son œuvre.
Avec une population accueillante
Mais la grande force de La malédiction d’Arkham (pour une fois que le titre français est plus évocateur que l’original) se trouve dans son atmosphère, foncièrement axée sur ce qui est caché et les non-dits. Cette approche psychologique contribue à distiller une sensation de malaise, loin des habituels frissons suggérés par les fantômes et autres spectres hantant de lugubres châteaux. Un choix d’autant plus judicieux que les maquillages restent assez grossiers, même pour une production de plus d’un demi-siècle. Les malformations des villageois révèlent des prothèses disposées avec maladresse, à la limite du grotesque. Constat identique pour le dénouement puisqu’on donne un visage à la créature invoquée (Yog-Sothoth?).
Ces artifices ont beau mal vieillir, le film de Roger Corman repose en grande partie sur le charisme et la prestation de l’immense Vincent Price. Sa simple présence à l’écran suffit à crédibiliser cette sombre affaire. Preuve en est avec des nuances d’interprétation quand il incarne le sémillant Charles Dexter Ward ou quand l’esprit de son ancêtre le possède. Le contraste est stupéfiant, mais joue davantage sur l’expressionnisme (dureté du visage, gestuelle modifiée...) que sur des comportements assez évidents (le dédain à l’encontre des villageois ou la violence envers sa femme). Pour lui donner le change, le reste du casting offre lui aussi une excellente composition. Qu’il s’agisse de l’éclatante Debra Paget ou de l’inquiétant Lon Chaney Jr, on a droit des acteurs clairement impliqués.
Et un peu de lecture pour les soirs au coin du feu
Au final, La malédiction d’Arkham n’a pas usurpé sa réputation. En dépit de quelques divergences avec la nouvelle de Lovecraft, le film de Roger Corman parvient à retranscrire l’ambiance qui la caractérise en y incorporant les grandes lignes de son œuvre (Necronomicon, Grands Anciens...). Malgré quelques aspects graphiques vieillissants (principalement les maquillages), le ton gothique du cadre, l’interprétation de haute volée et l’histoire en elle-même n’ont rien perdu de leurs attraits. Il en ressort une vision relativement fidèle et travaillée, bien consciente que la vraie terreur se suggère. Un classique du genre et sans doute la meilleure adaptation d’un récit de Lovecraft à l’écran.
Un film de Roger Corman
Avec : Vincent Price, Debra Paget, Lon Chaney Jr., Frank Maxwell