Le Territoire des Loups
Après le déplorable remake de L'agence tout risques, le moins que l'on puisse dire c'est que le nouveau film de Joe Carnahan n'était pas attendu au tournant. L'on pouvait simplement espérer une erreur de parcours au vu de Narc et du sympathique (mais pas transcendant) Mise à prix. Le territoire des loups se propose donc de partager le calvaire d'un groupe de survivants. Leur avion se crashe dans le Grand Nord canadien et une poignée d'hommes en réchappe. Dès lors, le combat pour survivre commence. Une meute de loups les prend en chasse, mais ce territoire hostile recèle bien d'autres dangers.
Un survival qui, sur le papier, n’a pas l'air si fantastique que cela. En effet, rares sont les films à jouer dans cette catégorie et à se démarquer par leur scénario, encore moins par leur originalité. Les références du genre semblent déjà bien éloignées dans le temps. Parfois, quelques pépites surgissent. Certes, ce n'est pas le récit qui permettra d'en faire un incontournable, mais la manière dont il est agencé. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les loups sont davantage coutumiers des grandes productions d'aventures (la saga des Croc-Blanc) plutôt que du survival (à quelques exceptions prêtes comme le récent et médiocre Wolf town) où l'on préfère, et de loin, son homologue le loup-garou (tellement plus vendeur après le tsunami de la bit-lit). Aussi, ce choix s'avère intéressant dans le fond.
Voici l'ombre...
Nous disions donc que l'histoire n'était pas forcément le point fort de tout survival animalier qui se respecte. Pourtant dès les premiers instants, l'on devine un film plus complexe qu'il n’y paraît. Pas dans son déroulement, mais dans les propos avancés. « Vivre et mourir en ce jour » Cette simple phrase résume non seulement les états d’âmes de John (une introduction tout en sobriété et saisissante de par son âpreté), mais la dualité qui occupe l'intrigue. Le rapport de l'homme à la nature. Les instincts primaires qui ressurgissent. Sa capacité à se dépasser pour affronter un danger. Le traitement est davantage proche du drame que du survival classique. Clin d'oeil savoureux, l'un des personnages fait référence au film Les survivants pour décrire leur situation. C'est absolument vrai. Tant dans le contexte (le lieu isolé), l'accident d'avion ou la fatalité d'être tributaire des forces de la nature sont omniprésentes.
Le territoire des loups est un conflit perpétuel. Un combat pour la survie de tous les instants. À cela, plusieurs niveaux de dangers guettent les rescapés. Tout d'abord, le groupe en lui-même qui recèle des caractères à fleurs de peau. Les affrontements sont nombreux, les divergences de points de vue également. Dès lors, c'est un climat houleux qui plane et menace la stabilité du groupe. Ensuite, le cadre. A lui seul un personnage à part entière. Les plaines immaculées de Colombie-Britannique, les forêts de conifères, les falaises, les vallées. Cette beauté environnante n'a d'égal que son impitoyable propension à remettre l'homme à sa place. Le froid, les tempêtes de neige, le vide, la rivière, chaque élément concourent à soumettre les survivants à une implacable sélection naturelle.
Voici les proies !
Dernière menace et non des moindres : les loups. Tout commence par des hurlements surgis des ténèbres ambiantes. La bête est présentée comme une victime, un intrus autour de l'installation de la compagnie pétrolière. Le prédateur est enchaîné à la dichotomie de l'exploitation outrancière de son territoire. Puis, ces mêmes hurlements prennent une tout autre signification après le crash. D'une longue complainte, ceux-ci se métamorphosent en un sombre avertissement pour les hommes. Une manière de symboliser la rébellion de la nature face à l'ignorance et la cupidité. L'allégorie se veut subtile et bien amenée, mais surtout s'opère sans changement apparent. Les cris se propagent telle une profonde litanie. Ce harcèlement traduit l'omniprésence des loups.
Puis, lorsqu'on les aperçoit, on sent qu'ils n'ont pas un comportement « normal ». La meute ne tue pas pour se nourrir. Au contraire, elle y prend une sorte de plaisir malsain à traquer ses victimes. En cela, l'on retrouve une approche et des réactions similaires au film de Stephen Hopkins : L'ombre et la proie. Les interventions quasi surnaturelles des loups ont pour but de jauger les forces adverses (ex : la scène du feu de camp). On observe, on avance à pattes feutrées. C'est déstabilisant, à tel point qu'on a véritablement l'impression de devoir affronter une intelligence à la fois collective et individuelle. En ce qui concerne leur apparence, les trucages sont de très bonnes factures et l'on peine à distinguer les vrais loups (eh oui, il y en a quelques-uns) des faux. Ce constat est sans doute dû à une habile mise en scène qui parvient à tourner la caméra à son avantage aux moments adéquats.
« Vivre et mourir en ce jour »
À cela, il faut compter sur un aspect survivaliste assez poussé. Les techniques pour survivre en milieu hostile se veulent inventives, intelligentes et cohérentes. Encore une fois, on prime sur le réalisme en dépit du spectaculaire même si de ce côté, Le territoire des loups n'a pas à rougir, bien au contraire (dixit la séquence où les protagonistes doivent effectuer un saut périlleux). Notons que les réactions des survivants sont des plus crédibles en tenant compte de ces circonstances extrêmes. Personnages aux caractères dissemblables qui se targuent d'un casting sobre et efficace. Les interprètes (qu'ils soient plus ou moins connus) possèdent tous le charisme et la verve requis pour un tel exercice. Une composition tout en retenue qui sied à merveille les propos avancés.
Bref, Joe Carnahan frappe là où ne l'attend pas. Malgré un a priori en demi-teinte, les premiers instants du film nous portent dans des contrées inhospitalières. Celles dont on a du mal à revenir tellement la vérité qui en découle s'avère cruelle et violente. Nanti d'une tension de tous les instants, d'un cadre magnifique et impitoyable, d'interprètes d'une pudeur surprenante et surtout d'enjeux qui dépassent la simple survie (quid de l'existence d’un dessein divin, du sens de la vie et du chemin que l'on emprunte en dépit des épreuves), Le territoire des loups renoue avec l'âpreté de Narc. Oublions les facéties rocambolesques de Mise à prix ou la lobotomisation d'une Agence tous risques bien fade. Le contraste est tellement flagrant que l'on a dû mal à croire qu'il s'agit du même réalisateur. Un long-métrage sans concession et certainement l'un des films les plus marquants de cette année 2012.
Un film de Joe Carnahan
Avec : Liam Neeson, Dermot Mulroney, Joe Anderson, James Badge Dale