Voir la fiche complète du film : Les Innocents (Jack Clayton - 1961)
[[

Les innocents

En manipulant la perception du spectateur, Les innocents est une véritable leçon de cinéma, maîtrisant les fondamentaux du fantastique et l’approche psychologique de son intrigue. Une adaptation inoubliable du Tour d’écrou à l’atmosphère gothique délectable.
Publié le 25 Novembre 2018 par Dante_1984Voir la fiche de Les Innocents
9
Fantôme

Dans le domaine du fantastique, certaines œuvres littéraires du XIXe siècle demeurent des classiques qui, non contents de poser les bases d’un genre, le transcendaient à travers des intrigues intemporelles. On songe à Edgar Poe, Mary Shelley, Oscar Wilde ou encore Bram Stoker. Dans la même veine, Henry James a écrit Le tour d’écrou, roman remarquable en tout point, tant dans sa prose que dans son atmosphère propre aux récits victoriens. Première adaptation cinématographique, et sans doute la plus célèbre, la version de Jack Clayton n’est pas en reste avec Truman Capote en guise de scénariste. Et s’il ne fait pas l’ombre d’un doute que son film fait office de classique, il n’en demeure pas moins un objet de contemplation et de curiosité rarement atteint dans le domaine.

Au-delà de qualités purement formelles, Les innocents entretient le mystère qui l’entoure par un récit ambivalent au possible. Les fantômes sont-ils réels? Est-il uniquement d’hallucinations nourries par l’imagination de la gouvernante? De l’ouverture à l’ultime scène, chaque plan, chaque dialogue, est un prétexte à l’interprétation du spectateur. Cela passe en partie par de subtiles allusions placées dans les échanges, mais aussi dans les non-dits ou les aveux qu’on évoque à demi-mot. Qu’il s’agisse de simples conversations entre adultes ou avec les enfants, la qualité d’écriture permet de faire avancer l’histoire en lui apportant une réelle densité dans les propos tenus.

L’angle d’approche et la mise en scène contribuent également à susciter le doute. L’exploitation de l’environnement, le manoir et la propriété, présente d’intéressantes pistes de réflexion quant au passif de la demeure. De jeux de clair-obscur aux cadrages soignés, la réalisation se pare d’une ambiance exceptionnelle. La présence du noir et blanc offre un cachet supplémentaire. Ce choix magnifie les séquences en extérieur et rend les couloirs et les pièces du manoir plus lugubre à la nuit tombée. Mais ce n’est pas dans l’épouvante même que l’histoire se distingue. Comme évoqué précédemment, le traitement se tourne vers l’aspect psychologique de la hantise. D’ailleurs, celle-ci ne sera jamais véritablement énoncée comme telle.

Il est vrai que certains passages concourent à mettre le spectateur en condition. L’éclairage tamisé des chandeliers et des bougies, les apparitions furtives par l’entremise d’une fenêtre, l’exploration de parties «abandonnées» du manoir... Mais la véritable appréhension réside dans les réactions des enfants et cette tension progressive qui vient (ou non) accroître les suspicions de la gouvernante. À ce titre, il émane une profonde maturité dans leur manière de s’exprimer ou de se comporter. À la fois déstabilisant et malsain, ce choix est servi par une volonté évidente de corrompre l’innocence, sous toutes les formes qu’elle puisse emprunter et pas uniquement dans les plus explicites.

Et c’est dans cette plongée progressive dans la folie que le spectateur perd ses repères, ne sachant plus ce qu’il faut croire. L’empathie fonctionne pour ressentir les tourments du personnage principal. Il n’y a aucune distinction entre les apparitions, les fantasmes et la réalité. L’on est parfois tenté d’envisager l’aliénation de la gouvernante, notamment avec des visions qu’elle essaye de partager avec des témoins, en vain. Considérations rapidement contredites par les séquences suivantes. De fait, tout l’intérêt du métrage est de brouiller les pistes et de fournir des explications, elles aussi, sujettes à plusieurs niveaux de lecture de la part du public.

Au final, Les innocents s’impose comme une pièce maîtresse du fantastique victorien. Parfaite représentation du livre d’Henry James, le film de Jack Clayton préserve son aura de mystère et ses secrets par l’intermédiaire d’une mise en scène ingénieuse à tout point de vue. Encore objet de spéculation sur la teneur des événements dépeints, l’intrigue joue de faux-semblants et d’allusions pour mieux déstabiliser le spectateur. Il en ressort une incursion psychologique probante soutenue par une interprétation sans faille de la part des acteurs adultes et enfants. Un film de fantômes sans pareil où la qualité d’écriture rejoint une ambiance oppressante, presque palpable tant elle révèle les errances des protagonistes.

A propos de l'auteur : Dante_1984
Portrait de Dante_1984

J'ai découvert le site en 2008 et j'ai été immédiatement séduit par l'opportunité de participer à la vie d'un site qui a pour objectif de faire vivre le cinéma de genre. J'ai commencé par ajouter des fiches. Puis, j'ai souhaité faire partager mes dernières découvertes en laissant des avis sur les films que je voyais.

Autres critiques

Clownhouse
Alors que les années 1980 touchent à leur fin, le cinéma d’horreur est particulièrement hanté par les boogeymans et autres psychopathes issus des slashers. Sous-genre en perte de vitesse à l’époque, ce dernier reste la principale base de travail de Clownhouse , même s’il n’officie pas vraiment dans ce style. Comme son titre l’indique, le premier métrage de Victor...
Douce nuit - sanglante nuit 4: l'initiation
Grâce à la magie du cinéma et son incommensurable absurdité dans certains cas, une franchise qui voit se succéder des films infâmes ne s’arrête pas en si mauvais chemin. Hormis le premier opus, Douce nuit sanglante nuit brille par sa nullité intrinsèque. Surenchère incohérente d’histoires plus maigres qu’un sucre d’orge, guirlandes d’interprètes à la ramasse, décorations de pacotilles et...
Bunny the Killer Thing
Au pays du ridicule, les lapins baiseurs sont rois. Une citation bien éloignée d’un trait d’esprit de Jean-Paul Sartre, mais surtout une bonne occasion pour introduire une œuvre dont dire qu’elle est atypique relèverait de l’euphémisme. Bunny the Killer Thing est un pur délire nous montrant que le cinéma n’est limité que par notre imagination et même si c’est...
Zombie Diaries 2: World of the Dead
De nos jours, en Grande-Bretagne, des militaires tentent de rallier la côte afin d'échapper à un virus mortel qui a transformé toute la population en morts-vivants. Cinq ans après Zombie Diaries , cette suite directe retrace le parcours des derniers survivants britanniques. Filmé caméra à l'épaule, Zombie Diaries 2 lorgne davantage vers le "shoot them up" que vers Rec 2 , en grande partie à cause...
Nick Cutter et les Portes du temps
Les dinosaures pour le cinéma (ou la télévision) sont une manne providentielle pour les paléontologues en herbe. A tort, l'on incombe généralement ce centre d'intérêt aux enfants ou jeunes adolescents qui s'étiole au fil des ans. La propension de dessins animés qui les mettent en scène semble confirmer ce malheureux préjugé ( Denver , Le petit dinosaure ou Dinosaures ...). Au regard d'un public...
Les Innocents
Réalisateur:
Durée:
100 min
9
Moyenne : 9 (6 votes)

The Innocents (1961) - Trailer

Thématiques