Festival de Gérardmer 2013 : compte-rendu

La vingtième édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer vient de s’achever. Le Jury était présidé par l’acteur français Christophe Lambert, célèbre pour ses rôles dans Subway, Greystoke, ou encore Highlander. Par ailleurs, le Festival rendait cette année hommage à Simon Pegg, célèbre tant pour ses performances d’acteur que pour son talent de scénariste.


Le jury de cette 20ème édition, entourant le président Christophe Lambert


Simon Pegg

La cérémonie d’ouverture nous a permis de découvrir le premier long-métrage de la compétition. The complex est un film de fantômes réalisé par le metteur en scène japonais Hideo Nakata, récompensé voici près de dix ans à Gérardmer pour son superbe Dark Water.

Film fantastique dans lequel une jeune femme voit des morts dans l’appartement voisin du sien, The Complex est une œuvre déséquilibrée. A la fois film fantastique, drame social, voire immixtion dans la psyché d’une femme rongée par la culpabilité, la nouvelle œuvre de Nakata est certes bien meilleure que son dernier opus (le très mineur Chatroom), mais pêche par un problème de rythme et une structure peu clairement charpentée. Nakata tente de brouiller les pistes, partant d’une histoire de famille assez quelconque pour glisser progressivement vers le fantastique. Cependant, et c’est bien là que se trouve l’un des problèmes fondamentaux, Nakata garde une grande distance avec son personnage alors même qu’il tente d'intégrer le spectateur dans la psychologie de cette femme. Dès lors, il en résulte une véritable difficulté à entrer émotionnellement dans le film, comme si toute cette histoire ne prenait jamais véritablement vie, et à partager la tristesse et la culpabilité qui ronge l’héroïne. De surcroît, Nakata tente le pari d’intégrer dans son récit une histoire d’exorcisme à dormir debout, qui, au lieu d’intensifier la dimension fantastique, vient rompre le rythme du film. The Complex est un long-métrage bancal, où la beauté de certaines scènes (la mise en scène de Nakata est par instant superbe) ne suffit pas à compenser la lenteur du récit et certaines maladresses.


Hideo Nakata

Le deuxième long-métrage présenté dans le cadre de la compétition officielle fut House of Last Things, mis en scène par le réalisateur américain Michael Bartlett. Alan, critique musical, et Sarah, son épouse dépressive, s’exilent en Italie pour un mois de vacances. Ils confient leur domicile à la jeune Kelly, bientôt rejointe par son copain Jesse, puis son frère Timothy. Des souvenirs vont à peu prendre vie et envahir les nouveaux habitants de la maison. Film à l’atmosphère proche de celle du Twin Peaks réalisé par David Lynch, House of Last Things est un film fantastique assez décousu. Après une séquences introductive visuellement réussie (un ralenti sur une partie de golf), le film tourne rapidement à la farce, au moyen de séquences quasiment burlesques, et d’un jeu d’acteurs extrêmement théâtral. Le récit devient peu à peu incompréhensible, l’histoire du couple parti en Italie et celle de la famille habitant dans la maison se télescopant de façon peu rigoureuse. Dommage que Michael Bartlett ne trouve pas toujours le ton juste.

Remington and the curse of the zombadings est sans contestation possible l’un des films les plus faibles de la compétition. Comédie réalisée par le metteur en scène philippin Jade Castro, Remington ne fait qu’empiler les clichés relatifs à la communauté gay, brossant le portrait d’un jeune homme envoûté par un sortilège qui transforme sa sexualité. Devenant peu à peu homosexuel, Remington est alors poursuivi par un serial killer homophobe. Comédie d’une lourdeur navrante, Remington est un long-métrage qui ne mérite pas sa place dans le cadre de la compétition officielle.

The Crack, du cinéaste Alfonso Acosta, ne restera pas non plus dans les mémoires. Comme dans de nombreux autres long-métrages présentés cette année à Gérardmer, l’élément déclencheur est à nouveau une histoire de deuil familial. Un an après la mort de sa sœur, Tomas part à la campagne avec sa famille. Il est le plus affecté de tous par sa disparition et peine à s’en remettre. Les rapports qu’il entretient avec ses parents vont peu à peu se dégrader. La dimension fantastique est quasiment absente du film d’Acosta. En effet, le récit ne fait qu’enchaîner des scènes intimistes répétitives et ne propose jamais de chute, s’enlisant dans un faux-rythme rédhibitoire. On voit Tomas pleurer, Tomas rire, sa mère couper un chou, prendre la voiture, son grand frère jeter des cailloux dans le lac, et ses petits frères boire des chocolats chauds. Un long-métrage sans grand intérêt, dont la lenteur a découragé un grand nombre de spectateurs.

You’re next, réalisé par Adam Wingard, est un slasher sans intérêt. Sachant que le metteur en scène américain avait déjà participé au désastre V/H/S,la méfiance était de mise. Malheureusement, Wingard confirme toutes les craintes que nous avions avant même le visionnage du film. You’re next est un slasher faussement malin, qui ne prend jamais son sujet au sérieux (l’attaque d’une famille dans une grande maison par une poignée de forcenés masqués) et verse à la fois dans la distanciation parodique et la mise en scène à la shaky cam. Un film roublard, sans aucun point de vue, qui ne respecte à aucun moment le genre qu’il investit.

Le meilleur long-métrage de cette vingtième édition est sans conteste Mama, mis en scène par le jeune réalisateur argentin Andres Muschietti, et produit par l’incontournable Guillermo Del Toro. Narrant l’histoire de deux petites filles abandonnées par leur père et recueillies par leur oncle après cinq années passées à survivre dans une cabane perdue en plein cœur de la forêt, Mama est un film fantastique émotionnellement intense, croisement entre le conte pour enfant, le mélodrame familial et le film de fantômes. Muschietti, dont c'est pourtant le premier long-métrage, fait montre d’une grande maîtrise pour dépeindre, par le biais de deux personnages différents, l’amour universel d’une mère pour son enfant. D’un côté l’amour d’une mère imaginaire, fantôme à la fois merveilleux et démoniaque qui « élève » les enfants dans la forêt, et de l’autre l’amour d’une femme qui « devient » mère par le combat qu’elle mène pour ces enfants. Un film d’une grande finesse, qui mérite amplement le Grand Prix qui lui a été décerné.


Andres et Barbara Muschietti, réalisateur et productrice de Mama

The End démontre une fois de plus l’intelligence du cinéma de genre espagnol. Des amis d’enfance se retrouvent, pour la première fois depuis vingt ans, dans une grande maison nichée en pleine montagne. Les retrouvailles ne se passent pas exactement comme ils le souhaitaient, tant en raison de l'atmosphère délétère qui règne que d’une panne généralisé qui touche toutes les sources d’énergie à disposition. Le lendemain, alors que le groupe se met en route pour chercher de l’aide, toute trace de vie humaine semble avoir disparu. Réalisé par Jorge Torregrossa, The End est un film post-apocalyptique dont la simplicité est le plus grand atout. Insistant sur la manière dont les personnages ressentent et appréhendent l’inconnu, Torregrossa met en scène des situations dont le décalage avec la réalité produit un effet d’étrangeté à la fois sidérant et poétique (l’apparition d’un vautour dans une cuisine abandonnée, la présence d’un lion dans une ville côtière dont tous les habitants ont disparu). Cependant, si la mise en scène de Torregrossa est souvent inspirée dans les séquences fortes, situées vers la fin du récit, elle est en revanche plus conventionnelle dans la première partie, ne parvenant alors pas à transcender les clichés propres au genre.

Berberian Sound Studio, de Peter Strickland, est un hommage au giallo. Gilderoy, ingénieur du son anglais, est embauché par un studio italien pour travailler sur un film d’horreur. Ce dernier, qui n’a jamais participé à la fabrication d’un film de cet acabit, est peu à peu déstabilisé par la violence qu’il doit illustrer au moyen de sa musique et par l’atmosphère délétère qui règne dans le studio. Peter Strickland a manifestement un goût prononcé pour les films d’Argento. Son film est truffé de caractéristiques propres au cinéma d’Argento : le travail sur les couleurs, le fétichisme (des meurtres notamment), la place de la femme (à la fois dominée et vengeresse), la sorcellerie (Suspiria et Inferno sont quasiment cités), pour n’en citer que quelques-unes. Esthétiquement superbe, doté d’un travail sonore minutieux, le film est malheureusement dépourvu de réel intérêt scénaristique. Le récit ne se résume qu’à une succession de saynètes assez répétitives et, vers la fin, faussement lynchiennes et surtout répétitives.

Mis en scène par le célèbre Barry Levinson, The Bay est un film de contamination façon found footage. Le récit se déroule intégralement dans une petite ville des Etats-Unis, dans laquelle un parasite se développe rapidement et contamine peu à peu toutes les personnes ayant été en contact, direct ou indirect, avec l’eau du lac local. L’extrême rapidité de la croissance du parasite est due à la fois à la fissure d’un réacteur nucléaire situé non loin de là et aux déchets industriels déversés dans la baie. Le long-métrage de Barry Levinson ne brille pas par son originalité, surtout dans le contexte actuel, gangrené par la mode du found footage. De ce point de vue, il faut bien l’admettre, le film est assez horripilant, reprenant toutes les formules actuellement à la mode. D’autant plus que le sous-texte politique est un peu trop voyant - Barry Levinson pointe clairement du doigt la politique républicaine. De surcroît, même si la situation que le réalisateur dépeint est véritablement terrifiante, le récit ne prend son envol qu’au cours de la seconde partie du long-métrage. Pour toutes ces raisons, The Bay ne suffira certainement pas à donner à la carrière du metteur en scène américain un second souffle. Cela fait maintenant bien longtemps que le réalisateur n’a pas produit d’œuvre marquante.

Hors compétition, peu de films ont retenu l’attention. The Conspiracy propose l’histoire de deux jeunes réalisateurs qui décident de suivre les faits et gestes d’une sorte de théoricien du complot. Ils sont rapidement influencés par la force de conviction et les arguments proposés par ce « prophète des temps modernes » et décident de poursuivre son œuvre lorsque ce dernier disparaît soudainement. « Documenteur » dans la veine du Dernier Exorcisme de Michael Stamm, The Conspiracy a pour lui l’attrait de son sujet et la coïncidence entre son procédé (la caméra subjective) et son propos (la théorie du complot). En effet, le développement d’Internet a permis la montée en puissance de toutes sortes de théories, aussi farfelues que peu documentées, prétendant que notre monde serait guidé par des forces occultes. Cependant, The Conspiracy s’en tient à l’exposition de cette idée et finit par se répéter, encore et encore.

Dagmar, l’âme des vikings, est un long-métrage norvégien réalisé par le metteur en scène du célèbre (et peu intéressant)Coldprey. Croisement entre le film de viking et le survival, le récit nous propose l’histoire d’une jeune femme, Signe, dont la famille est assassinée par Dagmar, guerrière implacable et sanguinaire. Signe, prise au piège par cette dernière, va tout faire pour lui échapper. Le film de Roar Uthaug n'est pas une réussite totale, loin de là. Manquant de lyrisme, échouant à proposer des séquences véritablement épiques, Dagmar est un film sympathique mais mineur, dont la seule originalité est de confier les rôles principaux d’un film de viking à des femmes.

La maison au bout de la rue est une sorte de slasher terriblement stéréotypé. Elissa et sa mère s’installent dans une nouvelle ville et découvrent rapidement que la maison voisine a été le théâtre d’une tragédie particulièrement violente. Une jeune fille a assassiné ses parents et a réussi à s’enfuir, échappant à la police. N’y vit plus désormais que son frère, au sujet duquel court de nombreuses rumeurs. Le film est une succession de clichés sans vie, de l’adolescente faussement rebelle et forcément attirée par le bad boy du coin, au twist forcé révélant la fracture psychologique du tueur. Toutes les situations se révèlent terriblement prévisibles et finissent par ne susciter qu’un ennui profond.

Forgotten, réalisé par l’allemand Alex Schmidt, fut en revanche une belle surprise. Hannah et Clarissa, deux amies d’enfance, décident de retrouver l’île sur laquelle elles passaient leurs vacances étant petites. Des souvenirs vont à peu remonter à la surface ; un terrible secret hante encore la conscience de Hannah. Sorte de transposition du fantastique à l’espagnole dans le cinéma allemand, Forgotten est à la fois un film de fantôme, un conte, et une réflexion sur l’oubli et la culpabilité. Très prenant dans son premier acte, le film pêche malgré tout par un traitement assez télévisuel et une deuxième partie qui se traîne quelque peu en longueur - le twist de fin est trop lourdement surligné. Reste des personnages attachants, interprétés par des comédiennes qui ont manifestement trouvé le ton juste. Il ne manque qu’un peu de souffle à cette histoire pour que le film marque davantage les esprits.

Bien que la vingtième édition du Festival de Gérardmer ne nous ait pas permis de découvrir pléthore de grands films, l’ambiance qui y règne chaque année est si bonne qu’il est toujours douloureux de quitter cette belle petite station vosgienne. Espérons que le Festival se poursuive l’an prochain, alors que les rumeurs annonçant sa fin sont chaque année plus nombreuses.

Palmarès :

Grand Prix : Mamá de Andrés Muschietti
Prix du public :
Mamáde Andrés Muschietti
Prix du jury jeune :
Mamáde Andrés Muschietti
Prix de la critique :
Berberian Sound Studio de Peter Strickland
Prix du jury ex-aequo :
Berberian Sound Studiode Peter Strickland et The End de Jorge Torregrossa
Prix du jury Scifi :
You're next
de Adam Wingard
Grand prix du court-métrage : Mort d'une ombre de Tom Van Avermaet

 


"The Complex, de H. Nakata" ou la diversité des émotions ressenties...


Si vous avez (malheureusement) la chance de voir les trois films de la journée, en voici les indices marquants...


Fantastique, vous avez dit fantastique ?


Coup de coeur du festival : Mama, d'Andres Muschietti

Photos et Dessins : Marine

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