Compte-rendu du NIFFF 2013

Vincenzo Natali, réalisateur du surestimé Cube mais aussi de l’horripilant et très paresseux Splice, présentait à Neuchâtel son film de fantômes Haunter. Le récit s’appuie sur le principe du paradoxe temporel, un peu à la manière du récent Triangle de Christopher Smith. Lisa Johnson, teenager en conflit avec ses parents, se trouve coincée, jour après jour, à la veille de ses seize ans. Elle ne cesse de revivre la même journée, sans qu’aucun membre de sa famille ne se rende compte de cet imbroglio temporel. En tentant de débrouiller ce mystère, Lisa va devoir se confronter à des forces occultes qui hantent la maison. Comme souvent dans les films de Vincenzo Natali, le dispositif proposé ne tient pas la distance et le récit s'enlise rapidement dans une succession de fausses pistes sans qu’aucune ossature générale ne vienne les articuler entre elles. Le paradoxe temporel s’efface devant des scènes de conflit familial à la manière du Twin Peaks de Lynch, lesquelles sont elles-mêmes remplacées par une sorte de jeu de pistes sous la forme d’un récit de fantômes. Le réalisateur prend ainsi le risque de perdre le spectateur en route, désorienté qu’il doit être par cette succession disharmonieuse de séquences sans trame sous-jacente ni point d’ancrage. Une plus grande lisibilité scénaristique aurait permis d'apprécier à sa juste valeur l’atmosphère plutôt réussie qui se dégage de cette maison familiale nichée en plein cœur des bois.

Gangster, du réalisateur thaïlandais Kongkiat Khomsiri reprend, comme son titre le suggère, un grand nombre de figures imposées du genre, proposant une plongée sanglante et trépidante dans les bas-fonds du Bangkok des années 50-60. Deux amis, Jod et Dang, sont impliqués dans des luttes intestines pour le pouvoir et le contrôle des salles de jeux clandestines et des réseaux de prostitution. Inspiré d’évènements et de personnalités du milieu ayant vraiment existé, Gangster entremêle la reconstitution des étapes-clés de l’ascension des protagonistes avec des témoignages de rescapés de cette période, suivant un fil documentaire. Le réalisateur, présent à l'occasion de la projection, affirme avoir voulu démystifier l’aura de ces gangsters sur la jeunesse de l’époque, vus autant comme des héros que comme des vedettes. La captation de l'atmosphère de l’époque est réussie et la première partie du film suit un rythme virevoltant ponctué de scènes de combat parfois novatrices, comme le meurtre fondateur au couteau, la main du chef et de l’outsider reliées par une corde (selon un rituel thaïlandais du combat à mort), ou le déchiquetage du visage d’une jeune femme au cocktail Molotov. Si la mise en scène et le montage emportent le spectateur, on peut quand même regretter l’usage excessif d’une technique parfois trop voyante, à l’image du lourd arrêt sur image en noir et blanc à chaque moment fondateur de la vie du gang, ou du très gros plan au ralenti qui suit la balle de revolver de Jod avant qu’elle ne perfore son opposant. La deuxième partie propose un changement d’époque et, par ses embrouillements, rompt malheureusement le rythme du film. La dictature militaire décide de nettoyer la ville et mène une lutte sans merci aux chefs de gang par le truchement d’un flic cruel et déterminé qui jette Jod en prison, où les fantômes des morts qu’il a tués viennent le visiter. Le personnage, touché par le remords, éprouve un désir (vain) de rédemption et se trouve rattrapé par son passé. Le récit a le défaut de multiplier les pistes, citations ou références, et manque peut-être d’unité.

Despite the Gods, documentaire présenté hors-compétition et réalisé par l’australienne Penny Vozniak autour du tournage de Hisss, avant-dernier film en date de Jennifer Lynch. A la suite de Surveillance, thriller surestimé sorti en salles en 2009, la cinéaste se lance dans la réalisation d'une histoire de malédiction indienne dans laquelle, comme elle l’explique dans le documentaire, « un serpent se transforme en femme pour se retransformer en serpent ». Penny Vozniak suit le tournage du long-métrage en Inde, entre retard dû aux intempéries et incompréhensions entre la réalisatrice et le producteur. Le tableau que la documentariste brosse de la cinéaste est ambigu : femme forte désireuse de mener de front son travail de mère et son acticité de réalisatrice (sa fille l’accompagne durant l’ensemble du tournage), dotée d’un caractère en acier trempé, la fille Lynch est également présentée comme une femme déprimée et égoïste, incapable d’assumer son statut de mère célibataire. Plus précisément, le documentaire a le défaut de peu s’intéresser au tournage du long-métrage à proprement parler ; le spectateur suit davantage les problèmes personnels de Jennifer Lynch et assiste à ses diatribes féministes, à ses sorties musclées, voire au peu de jugement qu’elle a sur le film qu’elle est en train de tourner (la voir affirmer qu’elle tourne un film d’une ambition folle alors même que les effets spéciaux semblent d’une ringardise hallucinante est proprement stupéfiant). Bref, Despite the Gods est une sorte de making off peu passionnant, si ce n’est pour qui veut assister, par le truchement du tournage d’un film, au choc de culture entre l’Inde et les Etats-Unis.

Notre coup de cœur va sans conteste au dernier film de Takashi Miike, Wara No Tate (Shield of Straw), présenté hors compétition. Réalisateur de films aussi différents qu'Audition, réflexion horrifique sur le couple, Gozu, évocation hallucinée d’un yakuza dépressif, ou encore Hara-Kiri, remake du film éponyme du grand Masaki Kobayashi, Takashi Miike est un réalisateur aussi génial qu’inégal, capable du meilleur comme du pire. Shield of Straw, hué à l'occasion de sa projection lors du dernier festival de Cannes, se situe à la croisée des genres, à la fois film policier, revenge movie, western urbain et drame social poignant. Réflexion d’une ambiguïté rare sur l’idée de justice, le dernier film de Miike propose le récit d’un policier chargé du transfert d’un prisonnier accusé du crime d’une enfant de sept ans, dont la tête a été mise à prix par le grand-père de la défunte, un richissime homme d’affaires japonais. La somme proposée est telle que tous les individus croisés par le policier à l’occasion du transfert deviennent des ennemis potentiels, désireux de toucher l’incroyable somme d’argent proposée par le vieux milliardaire. Shield of Straw est l’incarnation d’un cinéma de genre immersif, viscéral et conceptuel. A la fois jouissif par les séquences imposées qu’il compile (l’attaque d’un fourgon blindé par des CRS cupides, l’assaut d’un wagon de train par des yakusas) et d’une ambiguïté proprement hallucinante de par la complexité psychologique des personnages qu’il dépeint (des flics dont l’intégrité est sans cesse questionnée, un violeur d’un nihilisme profondément sauvage et barbare), Shield of Straw est la confirmation, après Hara-Kiri, que l'œuvre de Miike est entrée dans une nouvelle phase. Le récit propose un espace d'indétermination passionnant ; chacune des étapes ponctuant le scénario propose des renversements psychologiques parfaitement maîtrisés et jamais artificiels grâce auxquels le spectateur se trouve constamment, et surtout viscéralement, poussé à questionner son rapport à la légalité et à la justice, dans le cadre d’un récit de vengeance frontal et politiquement très incorrect. Miike, malgré les excès qui caractérisent les situations qu’il met en place, malgré la dimension quasi-parodique de certaines séquences, tient le spectateur en haleine jusqu’au bout du récit, brinquebalé dans cette zone d’incertitude qui vient définir l’entièreté du scénario.

Palmarès (principales récompenses) :

Narcisse du Meilleur Film : Dark Touch

Mention spéciale du Jury International : Chimères

Méliès d’argent du meilleur long-métrage européen : Au nom du fils

Prix Imaging The Future – meilleure production-design : Ghost Graduation

Prix du meilleur film asiatique : Eega

Prix de la Jeunesse Blaise Cendrars : The Crack

Prix RTS du Public : You’re newt

http://www.nifff.ch

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