Nightmare Detective

Un jeune homme parvient à s’immiscer dans les rêves d’autrui. Alors que des meurtres étranges se produisent à Tokyo, l’inspectrice, chargée de l’enquête, demande son aide afin de coincer le mystérieux 0. Après le claustrophobique Haze, Shinya Tsukamoto nous gratifie, à nouveau, d’un excellent film dont il a le secret. L’histoire débute dans un songe avec le spectre d’une jeune fille aux longs cheveux noirs. De prime abord, on se dit : « Ce n’est pas possible, encore une ! ». Mais, se serait mal connaître le cinéaste qui aime à brouiller les cartes d’entrée de jeu. L’originalité fait partie intégrante de son œuvre. L’onirisme imprégnant Nightmare detective sied à merveille son thème central : le rêve. En Occident, on les sous-estime beaucoup trop. A contrario, l’Asie demeure ouverte aux concepts abstraits et mésestimer. Grand bien leur en face, car lorsqu’ils s’attèlent avec application et un tant soit peu de talent à des sujets tels que celui-ci, le résultat est souvent à la hauteur de nos espérances. Les songes ouvrent une porte sur notre subconscient. A travers ceux-ci, on peut apprendre davantage sur notre personnalité qu’en l’espace de toute une vie. Nos désirs, nos peurs, nos désillusions, autant d’aspects sur lesquels on peut s’étendre. Le réalisateur s’en donne à cœur joie en développant parfaitement ses personnages. Au fur et à mesure du récit, on en apprend davantage sur eux, mais c’est également leur cas. Certains souvenirs refoulés ou pensées négatives que l’on veut au plus vite oubliés font partie intégrante de l’histoire. Les rêves deviennent alors des réminiscences de nos frustrations. Ainsi, il devient progressivement un cauchemar auquel on ne peut échapper. Si le suicide est présent dans les thématiques abordés, il occupe une place moins prépondérante que dans Suicide club. Il se révèle un exutoire pour des individus en perte de repères et désespérés par une existence terne sans intérêt. Shinya Tsukamoto offre une dimension nihiliste des plus inquiétantes à son œuvre. A travers un Tokyo aseptisé et vide de sens, les notions manichéennes que sont le bien et le mal deviennent des concepts abstraits. Les chimères s’immiscent progressivement dans la réalité. Il devient difficile de cerner ce qui est tangible ou pas. Comment l’humanité réagirait-elle si son existence n’avait aucun sens ? Le hasard est-il seul maître à bord ? Des questions dérangeantes et angoissantes pour le commun des mortels. En conclusion, Nightmare detective est une œuvre singulière d’une beauté insaisissable. Entre rêve et réalité, Shinya Tsukamoto se complaît dans un univers sibyllin d’une noirceur dramatique. Un film étrange et envoûtant.

Tsukamoto explore avec son Nightmare Detective l'univers du cinéma d'épouvante classique, à l'approche très moderne. Si l'image s'est adoucie, oubliant la caméra noir et blanc et l'aspect granuleux d'antan, le cinéaste de Tokyo Fist ne s'est pas pour autant assagi avec le temps. Le cinéaste retrouve d'ailleurs le punch qu'on lui connaissait, en moins expérimental, mais toujours aussi brutal dans son approche du polar Tokyoïte moderne. Nightmare Detective est moderne, tout simplement, et reflète par moment hélas trop bien l'état de santé du cinéma japonais actuel, à savoir trop bancal. A aucun moment le dernier Tsukamoto convainc totalement, il y a toujours ces petits éléments pénibles qui plombent la franchise estampillée Tsukamoto : l'interprétation au premier abord, décevante et atrocement paresseuse prouve que Hitomi n'est pas une actrice mais bel et bien une chanteuse pop tombée un peu par hasard dans cette enquête déstabilisante, manipulée par un trio d'acteurs sans grande saveur non plus, entre un Mastuda Ryuhei poseur (infiniment plus troublant chez Oshima avec Tabou), un Osugi Ren complètement à côté de la plaque (une vraie marque de fabrique!) et un Ando Masanobu plus bleu que jamais, il n'y a bien que la performance très correcte de Harada pour sauver l'ensemble du naufrage; comme d'habitude rehaussé par la participation de Tsukamoto himself dans un rôle lui allant comme un gant, celui du détraqué, évidemment. Nightmare Detective n'échappe donc pas au copycat pur et simple des mises à mort façon Nightmare on Elm Street, le meilleur Craven, pourtant si le cinéaste choisit clairement la facilité pour faire déguster ses protagonistes, sa mise en scène étonne une nouvelle fois par sa complexité et son sens du cadrage pas commun. La première séquence en vue subjective est alors une réussite absolue, montée de manière très saccadée et tenant la dragée haute aux meilleures productions des nineties, le succès d'une superbe alchimie entre le Tsukamoto indépendant (monteur, réalisateur, interprête, scénariste...) et son compositeur attitré Ishikawa Chu qui nous livre un travail sur la bande-son absolument stupéfiant, peut-être son plus complexe. On trouvera toujours à redire sur l'enquête souvent poussive, l'inutilité des clins d'oeil de bonne guerre aux Ringu-Like en début de métrage et cette étrange sensation d'être en face un MPD Psycho (photo, dynamique, polar/fantastique), mais la férocité Tsukamotesque l'emporte sur tout. Le colis arrive à destination avec quelques cornes, mais on ne s'est clairement pas moqué de nous sur la marchandise.