L'Autre

Depuis des temps immémoriaux, je cherchais ce film de Mulligan histoire de voir ce qu'il avait fait du terrible et magnifique livre de Thomas Tryon. Ma curiosité se portait plutôt au niveau de l'atmosphère lourde et angoissante dans lequel le livre baigne en permanence. J'avais vraiment envie de savoir si elle était fidèlement rendue sur pellicule et si oui ce que ça pouvait donner à l'écran. Enfin je trouve ce film et là... il ne m'a pas fallu longtemps pour réaliser que j'étais devant un film que je ne qualifierais même pas de culte tant la vulgarisation du terme serait lui faire insulte. Je considérais "Summer of 42" et "To kill a mockingbird" comme les deux oeuvres majeures de Robert Mulligan, considérais oui mais c'était avant de voir "The Other", il laisse tous ces pourtant chefs-d'oeuvre loin, loin derrière.

Ici pas d'horreur à proprement dite, pas de sang, nous sommes dans un conte (explicitement montré dès le plan d'introduction) envoutant, une ferme du Connecticut en 1935, tout se passe presque bien, c'est la Grande Dépression mais les Perry ne semblent ne pas la subir de plein fouet. Des jumeaux beaux comme des dieux s'amusent dans cette grande exploitation et si ce n'était la mort de leur père on pourrait croire qu'on filme un coin de paradis.

Mais derrière cet écran de fumée on se rend compte assez vite que quelque chose cloche dans ce décor de rêve. Ça sent les secrets de famille à plein nez, les non-dits, la schizophrénie latente et voilà que l'innocence de l'enfance est mise à mal... Le malaise ira en grandissant jusqu'à une fin intéressante mais malheureusement pas autant que celle de Tryon qui n'avait pas hésité à aller trancher directement dans nos petites cellules grises. Mais Mulligan a effectué un tel travail d'orfèvre sur ce film qu'il serait difficile de lui en tenir rigueur.

J'ai beau chercher des défauts à ce film, je n'en trouve aucun, la photographie, l'emploi insistant de zooms peu académiques nous rappelant à chaque instant de ne pas nous fier à ce qui nous est montré, le choix des acteurs (impossible de ne pas porter les jumeaux Udvarnoky au nues et de les y laisser flotter tant ils nous livrent un vrai petit bijou dans leur jeu, une performance tellement réussie que ça donne envie de se taper la tête contre les murs quand on voit que ce fut leur seul film...)

"The Other" est la référence ultime des films sur l'enfance meurtrie, diabolique et meurtrière et si "Chaque soir à neuf heures" a défriché le terrain, "The Other" l'a définitivement balisé ouvrant grande la voie aux Damien et autres Révoltés de l'an 2000. A posséder absolument.