Festival de Gérardmer 2012 : compte-rendu

La grand-messe du cinéma fantastique de Gérardmer 2012 s'achève, et c'est avec tristesse qu'il nous a fallu quitter cette belle petite station vosgienne. Malgré les rumeurs d'annulation qui ont persisté jusqu'à la fin du mois de décembre, l'édition 2012 a bel et bien eu lieu et nous a permis de découvrir des films de qualité. Le jury était cette année placé sous la présidence du dessinateur et cinéaste Enki Bilal, personnage emblématique du monde de la bande dessinée. Par ailleurs, le Festival rendait hommage à Ron Perlman, acteur célèbre pour ses rôles dans Le Nom de la Rose, de Jean-Jacques Annaud, Alien 4, de Jean-Pierre Jeunet ou encore Drive, réalisé par Nicolas Winding Refn, Prix de la Mise en scène au dernier Festival de Cannes.

Si les films en compétition étaient cette année probablement moins brillants que l'an dernier – Bedevilled avait incontestablement dominé la sélection officielle lors de l'édition 2011, en compagnie de I saw the Devil, revenge movie efficace et tape-à-l'œil – plusieurs longs-métrages ont retenu notre attention, dans le cadre de la compétition officielle mais surtout dans d'autres sections.

En premier lieu, il convient de dire quelques mots au sujet de The Divide, présenté en clôture du Festival, troisième long-métrage du jeune metteur en scène Xavier Gens. Réalisateur du bancal mais intéressant Frontière(s), variation française et contemporaine de Massacre à la tronçonneuse, Xavier Gens s'est fait un nom aux Etats-Unis au point d'avoir déjà réalisé une œuvre à gros budget, Hitman, sortie dans nos salles à l'époque de Frontière(s), en 2008. Avec The Divide, la carrière de Xavier Gens entre incontestablement dans une nouvelle dimension. Narrant la tentative de survie d'un petit groupe de personnes dans un abri antiatomique à la suite d'une attaque nucléaire, The Divide est un huis-clos post-apocalyptique frontal qui dépeint la décrépitude des relations humaines en période de crise. Décrivant avec une radicalité non feinte la bêtise et la cruauté de l'homme en situation d'exception, Xavier Gens frappe fort et livre un long-métrage maîtrisé mais terriblement brutal, tout au long duquel les personnages deviennent tour à tour veules et lâches. Si le trait est parfois lourd voire outrancier, si le scénario est d'une imprécision agaçante (il aurait été bon que l'écoulement du temps puisse clairement se faire sentir),  les situations s'enchaînent avec efficacité et l'évolution psychologique de chacun des personnages ne peut qu'interpeller le spectateur. Il faut d'ailleurs mentionner la prestation impeccable de Michael Biehn en gardien de l'immeuble, personnage charismatique tout droit sorti d'un film de John Carpenter, accroché à son cigare et à ses phrases sacerdotales. De surcroît, grâce à une mise en scène symbolique et véritablement porteuse de sens,  Xavier Gens réussit à provoquer des émotions fortes. A ce titre, la dernière séquence du film, durant laquelle la fin du monde apparaît au grand jour, est très impressionnante : le metteur en scène, par le ralenti auquel il recourt, et par un travail sur la production design remarquable, parvient à créer une atmosphère apocalyptique sidérante, proche de l'univers d'un jeu vidéo. Un long-métrage perfectible mais réussi, qui ausculte avec panache la vacuité et la brutalité des rapports sociaux en situation de crise.

The Theatre bizarre, ovni cinématographique regroupant sept courts-métrages réalisés par des grands noms de l'horreur, déjà présenté dans plusieurs festivals l'année dernière, était l'un des temps forts cette année à Gérardmer. Réalisé par Douglas Buck, Buddy Giovinazzo, David Gregory, Karim Hussain, Jeremy Kasten, Tom Savini et Richard Stanley, The Theatre bizarre est une œuvre volontairement grand-guignolesque particulièrement réussie. Malgré leurs différences formelles, ces œuvres s'insèrent harmonieusement dans l'ensemble du projet – hormis peut-être le court-métrage mis en scène par Richard Stanley, The Mother of Toads, conçu sur une veine plus ludique et parodique que les autres. Si trois segments éclaboussent l'ensemble du film par leur maîtrise et leur classe – The Accident, de Douglas Buck, Vision Stains, de Karim Hussain, et dans une moindre mesure Sweets, de David Gregory – l'ensemble se laisse regarder avec une sorte de plaisir coupable et jouissif.

La splendeur de la photographie, la pureté des émotions qui se dégagent du segment réalisé par Douglas Buck font de ce court-métrage la grande réussite de The Theatre Bizarre. The Accident est d'ailleurs assez proche, dans l'apparente simplicité de la situation qu'il se propose de mettre en scène, et dans les couleurs automnales qui s'en dégagent, du Family Portraits que le cinéaste américain a réalisé en 2006. Par sa capacité à mettre en scène une problématique fondamentale à partir d'un postulat d'une évidente simplicité – faire accepter l'idée de la mort à une petite fille témoin d'un accident de la route – Douglas Buck démontre à nouveau qu'il est un cinéaste à suivre de très près.

Au moment de la mort, si l'existence défile dans un flash, est-il possible de décrire avec précision cette dernière vision, ce dernier moment de la vie ? Voici le postulat, à la fois simple et fascinant, sur lequel repose le segment mis en scène par Karim Hussain. Vision Stains, autre moment fort du long-métrage, narre ainsi l'histoire d'une femme qui, à l'aide d'un procédé bien à elle, parvient à capter les derniers instants d'une personne à l'agonie, qu'elle décide de retranscrire par écrit, s'érigeant en dernier témoin avant la mort. A la fois poétique, onirique et radical, le court-métrage de Karim Hussain propose des pistes de réflexion simples et fascinantes, bien que parfois trop brutalement assénées au spectateur. Par les analyses et les problématiques qui en émanent, Vision stains peut d'ailleurs être rapproché de The Addiction, réalisé par Abel Ferrara en 1995, centré sur le vampirisme en tant qu'expérience de la mort.

En conclusion, si The Theatre Bizarre est un film inégal, parfois foutraque, il a le mérite de proposer un itinéraire horrifique différent, parcouru de fulgurances impressionnantes. Une œuvre à découvrir impérativement.

Choose, de Marcus Graves, est un film d'horreur dispensable, sorte de croisement inutile entre la série Scream et celle des Saw. Présenté hors compétition, Choose est une œuvre profondément soporifique, qui n'a rien d'autre à offrir que des séquences déjà vues cent fois dans la plupart des slasher depuis les années 80. Un film mou et paresseux, avec un twist contestable et approximatif, qui reproduit les codes les plus éculés du slasher sans génie ni amour véritable pour le genre.

Hors compétition, le Festival nous a permis de (re)découvrir une comédie horrifique particulièrement réussie, Tucker and Dale vs Evil, dont nous avions déjà parlé lors de sa projection à Strasbourg dans le cadre du Festival Européen du Film Fantastique. Dans la veine du célèbre Shaun of the Dead, Tucker nous propose une relecture des codes fondateurs du film d'horreur, et plus particulièrement du survival. A contrario de Massacre à la tronçonneuse ou de Vendredi 13, les paysans ne sont pas des tueurs assoiffés de sang mais seulement deux amis partis pêcher et qui, à la suite de concours de circonstances successifs, sont attaqués par des adolescents qui les prennent pour deux meurtriers fous. L'objectif de Tucker n'est pas simplement de détourner les codes du genre mais plus précisément de les renverser, chaque scène étant construite suivant un effet de symétrie par rapport aux séquences fondatrices des films du genre : ce sont ici les campagnards qui sont attaqués par les adolescents. Tucker est un long-métrage rafraîchissant qui a le mérite de relancer le genre des comédies horrifiques.

Babycall, réalisé par Pal Sletaune, est le vainqueur de cette édition, sacré Grand Prix du Jury. Metteur en scène peu connu du grand public, Sletaune a déjà obtenu le Grand Prix de la Semaine internationale de la Critique au Festival de Cannes en 1997 avec son premier film, Junk Mail. Babycall, son dernier opus, est un film fantastique à dimension psychologique, qui nous permet d'apprécier la performance de l'actrice Noomi Rapace, absolument stupéfiante dans l'adaptation suédoise du Millénium de Stieg Larsson. Dans la veine du Morse de Tomas Alfredson, Grand Prix du Festival en 2009, voire du Dark Water d'Hideo Nakata, Babycall est un film fantastique à dimension sociale en tant qu'il installe le fantastique dans un quartier populaire et propose le portrait touchant d'une mère célibataire pugnace mais psychologiquement déséquilibrée. La cruauté du combat qu'elle mène pour la garde de son fils se trouve renforcée par les scènes de terreur provoquées par l'utilisation d'un babycall, appareil qu'elle installe dans la chambre de son enfant afin de le surveiller durant la nuit mais qui lui donne à entendre des voix singulières venant d'un autre appartement que le sien. L'état de panique dans lequel la jeune femme est progressivement plongée semble être le révélateur des pressions exercées par son environnement social. Si le film ne s'extirpe pas d'une certaine forme de didactisme, la mise en scène de Sletaune, sobre et efficace, sert parfaitement le jeu de Noomi Rapace, convaincante dans le rôle d'une mère courage confrontée à l'oppression du monde social. En conclusion, Babycall est un film raffiné et exigeant, davantage portrait d'une femme aux abois que film d'angoisse à proprement parler.

 

           

The Beast, réalisé par Christoffer Boe, et Prix du Jury cette année, est un long-métrage arty et prétentieux. Narrant les péripéties amoureuses de Bruno, bobo danois qui sent l'amour de sa femme décliner, The Beast tente d'introduire les codes du fantastique, voire de l'horreur cronenbergienne (la transformation du corps, la problématique de la contamination), au sein du couple. Incarné de façon hyper démonstrative par Nicolas Bro, Bruno, qui découvre que sa femme le trompe avec l'un de ses meilleurs amis, va peu à peu vouloir dévorer sa femme afin de la posséder et de sceller le lien qui l'unit à elle. Par sa volonté d'introduire l'horreur au sein de la structure amoureuse, Boe tente de mettre en scène l'aliénation que le couple peut engendrer. Cependant, en ne résolvant aucune des pistes qu'il met en avant, le metteur en scène ne propose au spectateur qu'un spectacle horripilant, faussement conceptuel, à la limite de l'amateurisme. The Beast est un long-métrage froid, poseur et jamais touchant.

La découverte de Blood Creek a été un temps fort du Festival, dans la mesure où le nouveau film de Joel Schumacher n'a pu être projeté en version originale dans le cinéma dans lequel nous l'avons vu. En conséquence, cette histoire de film fantastique à dimension historique – il y est question de nazisme et de découvertes ésotériques durant la Seconde guerre mondiale – a été projetée en version française, ce qui ne pouvait rendre justice au nouveau film du metteur en scène de Chute libre et nous a poussé à quitter la salle après une petite vingtaine de minutes. Dans sa version française, Blood Creek tourne rapidement au navet pur et simple, dans la mesure où le doublage en français, spécifiquement durant la première partie du film, est agrémenté d'un accent allemand digne de la série Papa Schultz. Un film a priori intéressant mais à voir impérativement en version originale.

Le Festival de Gérardmer a donc cette année encore fait montre d'une grande vitalité, malgré les difficultés financières récentes. Espérons que le vingtième anniversaire de la création du Festival, l'an prochain, puisse donner lieu à nouvelle édition du même acabit.

 

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