Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg - Compte-rendu 2012

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Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg

Compte-rendu 2012

Depuis quelques années, Strasbourg est terre d’accueil pour le cinéma fantastique. Présidée par Mick Garris, producteur de la série Masters of Horror, la cinquième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) permettait cette année de découvrir près d’une cinquantaine de films, toutes catégories confondues.

 

La compétition officielle, composée de treize films, a permis la découverte de trois œuvres importantes : Insensibles, de Juan Carlos Medina (sorti dans les salles le 10 octobre), Le Mur Invisible, réalisé par Julian Roman Pösler, et enfin Antiviral, de Brandon Cronenberg.

Premier film d’un jeune réalisateur franco-espagnol, Insensibles est un film complexe, à la lisière de plusieurs genres. En Espagne, dans les années 30, des enfants insensibles à la douleur sont retirés de leur famille et placés, pour le restant de leurs jours, dans une forteresse située en plein cœur des Pyrénées. De nos jours, un neurochirurgien de renom, David Martel, doit retrouver ses parents biologiques pour bénéficier d’une greffe nécessaire à sa survie. Les récits vont peu à peu se croiser, la quête de David étant intimement liée à la tragédie qui s'est déroulée dans la forteresse quelques décennies plus tôt. A la fois drame social, film historique, réflexion sur la mémoire espagnole, et film fantastique, Insensibles est une première œuvre très ambitieuse. Jouant sur plusieurs registres à la fois, Juan Carlos Medina utilise les ressorts de l’horreur pour construire le personnage-clé du long métrage, Berkano, allégorie sauvage et brutale de la barbarie totalitaire. Non content de réussir un mélange des genres particulièrement harmonieux, Medina met en scène des séquences horrifiques à la fois iconiques et violentes de toute beauté, qui soulignent la prégnance du passé franquiste dans la constitution de la mémoire collective. Insensibles démontre à nouveau la grande maturité du cinéma de genre espagnol d’aujourd’hui. Le Méliès d’Argent qui lui a été attribué est absolument logique.

Dans un registre différent, Le Mur Invisible était sans conteste l’autre temps fort du festival. Une jeune femme est invitée par des amis dans leur maison de campagne. Lorsqu’ils partent au village chercher des vivres mais ne reviennent pas, la jeune femme s’inquiète. Le lendemain matin, elle décide d’aller à leur rencontre mais se heurte rapidement à un mur invisible qui l’empêche de continuer sa route. Elle se trouve coupée du reste du monde et ne pourra plus jamais rejoindre la civilisation. A la fois film fantastique et réflexion métaphysique, Le Mur Invisible brosse le portrait d’une jeune femme qui doit faire face à un changement existentiel fondamental. Plongée émotionnelle dans le quotidien d’une personne vivant l’état de nature tel que Jean-Jacques Rousseau l’envisageait dans son Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes, le film est une expérience singulière et surprenante. Certains cadres, superbes, en disent plus long que tous les discours. Et la voix off, très présente mais jamais pesante, exprime avec intelligence et sensibilité les stades émotionnels par lesquels la jeune femme passe, jusqu’à parvenir à trouver dans cette nouvelle vie une forme de délivrance, de libération de l'emprise du monde social. Le Mur Invisible est un film austère et brillant, hanté par la philosophie allemande.

Antiviral est le premier film de Brandon Cronenberg, qui n’est autre que le fils de David Cronenberg, figure emblématique du cinéma de genre depuis plus de trente ans. Reprenant des thématiques proches de celles développées par Cronenberg senior dans les années 80 et 90 – la transformation du corps, l’expérience de la chair, la contamination – Brandon met en scène un film d’anticipation très intéressant. Dans un futur proche, alors que le phénomène du star system s’est développé dans des proportions hallucinantes, certaines entreprises permettent aux fans d’acheter le virus de leur star préférée. Syd March, employé de l’une ces sociétés, contaminé par l’un des virus qu’il tentait de revendre au marché noir, va devoir rendre des comptes à la société qui l’emploie. Si la première demi-heure est particulièrement réussie, notamment grâce à une photographie superbe et un travail sur la production design certes tape-à-l’œil mais très efficace, le film tarde à trouver un second souffle. Brandon Cronenberg fait montre d’une réelle maestria mais se trouve empêtré dans un scénario confus. Malgré quelques très belles idées, le film manque de profondeur, comme si la complexité propre aux œuvres de jeunesse de son père était remplacée par quelques trouvailles accrocheuses mais malheureusement trop peu développées. Il n’empêche que Brandon Cronenberg livre un premier film singulier, personnel, ponctué par certaines séquences graphiquement très réussies.

 

Le reste de la compétition permettait de découvrir certains films sympathiques, même si leur niveau était plus faible que les trois premiers films évoqués. The Pact, est un film de maison hantée bancal mais plutôt réussi. Lorsqu'Annie apprend le décès de sa mère, elle décide de rentrer à la maison le temps des funérailles. Mais à peine s’est-elle réinstallée dans la maison que sa sœur disparaît et qu’une présence maléfique s’en prend à elle directement. Durant la première partie, The Pact est terrifiant. Le réalisateur parvient à créer une réelle tension, en jouant notamment sur de longues plages de silence et une utilisation de l’espace particulièrement efficace. Une simple maison de banlieue devient d’un coup plus angoissante que le plus baroque des manoirs. Malheureusement, la deuxième partie est moins emballante et tire progressivement le long métrage vers le film de serial killer, au moyen d’un twist final presque gênant, qui déstabilise la cohérence générale de l’ensemble.

De la même manière, When the lights went out pêche par son déséquilibre flagrant, bien qu’il soit d’une toute autre nature. Les Maynard emménagent dans la grande maison dont ils rêvaient tant. Mais, dès leur arrivée, une présence inquiétante se manifeste, que leur fille Sally est la première à ressentir. Un climat de terreur s’installe peu à peu… Croisement entre film de maison hantée et chronique sociale, le film hésite constamment dans le rythme à adopter. La dimension sociale prend rapidement le pas sur les séquences horrifiques, finalement assez peu nombreuses. De surcroît, le film jure par le manque d'énergie et de radicalité des séquences horrifiques, qui ne viennent jamais déstabiliser le spectateur. A ce titre, la séquence finale semble bien fade au regard de sa comparaison avec L'exorciste, réalisé par William Friedkin il y a pourtant presque quarante ans.

Le déséquilibre est également le défaut essentiel de Doomsday Book, réalisé par Yim Pil-sung et Kim Jee-woon (qui étaient tous les deux présents à Gérardmer ces dernières années, le premier en 2009 avec le dispensable Hansel et Gretel et le second en 2011 avec le revenge movie coup-de-poing I saw the Devil). Variation autour de l’apocalypse, Doomsday Book propose trois interprétations (de deux réalisateurs) bien différentes autour du concept de fin du monde. En effet, le burlesque qui se dégage des deux tronçons réalisés par Yim Pil-sung tranche considérablement avec le sérieux dont fait preuve Kim Jee-woon dans la réalisation de son segment. Yim Pil-sung brouille sans cesse les cartes, déjouant les attentes du spectateur, tournant en dérision tous les clichés usuellement véhiculés dans les films catastrophes. Kim, Jee-woon au contraire, réalise une fable prétentieuse sur les relations entre l’homme et le robot (le robot y représente l’avenir final de l’humanité, transcendant les sentiments et les émotions humaines). Comme souvent dans les films à sketches, l’ensemble est beaucoup trop déséquilibré pour convaincre.

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