Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg - Compte-rendu 2012

 

Pour parler des courts-métrages, mais aussi du reste de la compétition, nous avons rencontré Estelle Dalleu, enseignante en cinéma à la Faculté de Strasbourg, et membre du jury dans la section courts métrages cette année. Elle nous donne son point de vue sur le festival :

Estelle, en tant que membre du jury, tu as étudié de près l’ensemble des courts métrages. Quel bilan dresserais-tu de la compétition ?

Dans l’ensemble, les courts métrages faisaient des propositions plus en lien avec l’idée de fantastique que la compétition internationale. Je dirais que les thématiques, les outils de création et la manière d’envisager le fantastique étaient qualitativement meilleurs. Cependant, il faut noter qu’il y avait une grande disparité entre les films, un court produit par Guillermo Del Toro lui-même côtoyait un film d’école doté d’un budget bien plus maigre. Globalement, les courts internationaux étaient plus intéressants que les courts français, avec quelques exceptions, fort heureusement. Personnellement j’ai beaucoup aimé La ville est calme, court français inspiré par Ray Bradbury, sorte de méditation fantastique et métaphysique.

Dès qu’on s’intéresse aux festivals, tout le monde se pose la question : « mais comment le jury s’accorde-t-il sur un film ? ». Justement, sans vouloir violer la confidentialité ou le secret du délibéré, comment cela s’est-il passé ?


A curious conjunction of coincidences (Jost Reijmers)

Nous, c’est-à-dire l’ensemble du jury, avons choisi d’adopter la méthode suivante : nous avons commencé par discuter de la notion même de fantastique, afin de voir quelles étaient les œuvres correspondant le plus à notre définition du fantastique. Cela nous a permis d’évacuer d’entrée de jeu La bifle, un court-métrage qui ne répondait pas complètement à ce que nous pensions être un film fantastique, d’autant plus dans le cadre d’un festival dédié à ce genre. Ensuite, la présentation de nos classements respectifs en expliquant le pourquoi de nos choix pour chacun des courts. Enfin, nous avons discuté de certaines caractéristiques fondamentales de chaque film (aspects techniques/thèmes, etc) pour définir un classement. En tous les cas, chaque court à fait l’objet d’une discussion approfondie, ce qui a certainement fait que nous avons pris plus de temps que le jury long métrage pour délibérer, d’autant que nous avons profité de cette rencontre pour discuter de cinéma, de la création en général. C’était un moment tout à fait convivial où il n’y a pas eu de désaccords. De manière tout à fait naturelle, certains courts sont rapidement sortis du lot : La migala/le vivier/The last bus. Et ce sont précisément les courts que nous avons primés en définitive. Etant donné la grande disparité à la fois technique et thématique, nous avons exceptionnellement accordé une mention spéciale à des films d’écoles, afin de saluer et d’encourager cette création. La mention est allée à The Island keeper (court français) et A curious conjunction of coincidences (court international).

Plus généralement, qu’as-tu pensé du reste de la compétition ? Les longs métrages t’ont-ils emballé ?

La compétition internationale du FEFFS reflète l’état actuel de la création dans le domaine du fantastique, et je dois dire que le genre est en très petite forme actuellement. Il me semble tout d’abord qu’il devient urgent que l’on discute à nouveau de ce qu’est le genre fantastique. On met dans cette catégorie, devenue fourre-tout, des films qui n’ont rien de fantastique. Le fantastique aujourd’hui, ce sont des films sociétaux ou familiaux qui saupoudrent du fantastique pour mieux appuyer et soutenir leur propos ; ils ne sont donc pas fantastiques. Le fantastique (saupoudré, je le rappelle) ne servirait-il actuellement qu'à dire les peurs profondes et cachées de nos sociétés ? Si tel est le cas, les choses deviennent alors plus intéressantes, mais pour les gens en sociologie, pas nécessairement pour les gens qui s’intéressent au cinéma.

Jusqu’ici les films étaient fondamentalement fantastiques et comportaient en sous-texte des problématiques. Je pense à la figure du zombie, par exemple, qui par son trait identitaire renvoie à des questions profondes sur l’altérité. Je crois que nous sommes à un tournant de ce que l'on catégorise comme fantastique et qu’il faudrait repenser la question. Le fantastique est passé en mode appropriatif, c’est-à-dire qu’il fait l’objet d’une appropriation par des créateurs qui n’en ont pas toujours la maîtrise ou la connaissance. En soi une appropriation est plutôt flatteuse, elle pourrait permettre une plus grande visibilité du fantastique, mais ça n’est malheureusement pas pour le meilleur car les outils propres à ce genre ne sont pas toujours compris, ou tout du moins réfléchis. En tous les cas pas pour l’instant, et sûrement pas pour le spectateur accoutumé au genre qui se retrouve devant un fantastique vidé de son contenu.

Personnellement, que dirais-tu de la compétition ? As-tu un coup de cœur, un film que tu aimerais particulièrement défendre ?


The Last Bus (Ivana Laucikova, Martin Snopek)

Il est toujours important de se demander de quel point de vue on regarde et on apprécie un film. Ainsi, dans la compétition internationale il y a pour moi le choix du cœur et le choix de la raison.

Le cœur va à Antiviral, même s’il a un grand défaut de rythme qui fait qu’il s’essouffle sur la durée. Il y a bien longtemps que je n’avais pas eu une émotion esthétique au cinéma, et, au-delà de ça, Brandon Cronenberg, dans le cadre d’un récit d’anticipation, aborde ce qui pour moi est l'une des questions fondamentales du cinéma fantastique, l’altérité. Dans Antiviral cette question se fait chair à nouveau (un autre trait important du fantastique). Chair vivante et morte, chair nourricière et destructrice. Bref, je pourrais m’étendre longuement sur le sujet, ce qui n’est pas le propos.

La raison, elle, va au film Le mur invisible. Pour moi il est profondément fantastique, mais également terriblement philosophique. Une fois encore la question de l’altérité (qui est ici à la fois l’autre en soi et l’autre à l’extérieur de soi (humain, animal, organique, etc.)), qui fait suite à l’irruption d’un événement ni expliqué ni explicable, est au cœur de ce film. Je crois que c’est un rare exemple où la voix off (prédominante, et qui semble en avoir gêné plus d’un d’après les échos que j’en ai eu durant le Festival) devient pure sensation. Mais justement, c’est ça le fantastique, c’est fondamentalement du son et de l’image.

Nous remercions Estelle Dalleu pour sa disponibilité.

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