Gretel & Hansel
On ne compte plus les adaptations de contes de fées dont les variations ont donné lieu à des interprétations des plus édulcorées aux plus brutales. Depuis sa publication voilà plus de 200 ans, Hansel & Gretel n’échappe pas à cette réappropriation pour la télévision et le cinéma. Sous forme de films indépendants ou de blockbusters, les différentes productions se sont montrées plus ou moins fidèles, et ce, quels que soient les moyens à disposition. À l’instar de la collection Les Contes Interdits des éditions Ada, ce type de récit se prête particulièrement bien à une itération horrifique ; qu’elle soit gore ou malsaine. Sans doute est-ce dû aux histoires originelles elles-mêmes qui sont bien éloignées de l’image fantasmée et romantisée des plus célèbres versions…
Aussi, Gretel & Hansel s’insinue dans ce registre en délaissant toute forme de féérie. Le cadre instauré impose d’emblée un contexte moyenâgeux dont la temporalité reste incertaine. On peut se baser sur le début du XVIIIe siècle, comme la date de parution du conte. Cependant, l’atmosphère générale évoque surtout le XIVe siècle où la famine et le mode de vie renvoient à une détresse qui n’est pas sans rappeler les ravages de la peste noire. D’ailleurs, la présentation se retrouve dans cette ambiance désenchantée où les liens filiaux constituent davantage un fardeau qu’une responsabilité. L’approche se veut réaliste et assez lourde de sens puisqu’elle vient justifier le périple des deux enfants.
Sans jamais vraiment sauter le pas, le spectateur se perd dans la forêt, comme on s’insinue progressivement vers des éléments fantastico-horrifiques oppressants. Les créatures monstrueuses côtoient des visions hallucinées. Il est difficile de déterminer où se situe la frontière entre le cauchemar perçu par les enfants, véritable allégorie matérialisée de l’hostilité du monde, et la réalité. Cette dernière s’avance dans des considérations délétères, voire nihilistes à certains égards. On retrouve également une symbolique forte telle que la porte dissimulée derrière la flétrissure du mur, semblable au passage d’Alice – De l’autre côté du miroir…
L’approche est foncièrement déroutante, car elle suggère un sentiment pesant, souvent indéfinissable dans ce qu’elle suscite. Tant dans le principe que dans l’ambiance qui s’en dégage, il en ressort de nombreuses similarités avec The Witch jusque dans son rythme volontairement lent, à la limite de la contemplation ou, en l’occurrence, d’un somnambulisme infernal. En cela, la mise en scène retranscrit parfaitement le malaise latent. On a droit à des plans rapprochés, des arrière-plans floutés ou encore une perception des espaces inconstante, voire erronée. Pour ce dernier point, cela tient à des perspectives trompeuses qui s’appuient sur les reliefs et les contrastes savamment orchestrés par la photographie.
À croire que le cinéaste souhaite déstabiliser son public à travers une vision très personnelle et tout aussi sombre du conte des frères Grimm. Il est donc difficile de se baser sur le respect de l’histoire, mais les fondamentaux demeurent présents. Ils sont simplement triturés pour rendre l’ensemble plus inquiétant. D’ailleurs, l’inversion des prénoms dans le titre n’est pas anodine puisqu’elle sous-tend l’importance particulière de Gretel dans l’intrigue. Cela vaut surtout pour sa relation avec la sorcière, bien plus ambivalente qu’escomptée. Au-delà d’un lien parental qui se noue, il s’en dégage un récit initiatique pour la protagoniste. Le passage à l’âge adulte et les désillusions qui l’accompagnent sont alors des sujets particulièrement bien amenées et développées.
Au final, Gretel & Hansel demeure une incursion déroutante et singulière dans le domaine des contes de fées. Le film d’Oz Perkins propose une adaptation nuancée dont l’atmosphère morose alourdit les multiples dangers qui gravitent autour des deux enfants. Avec une évolution patiente et timorée, qui ne sera pas du goût de tous, l’intrigue sous-tend une interprétation purement subjective sur le paraître de ces séquences. La réalité est-elle un cauchemar éveillé ? À moins que le périple lui-même ne soit rien d’autre qu’une métaphore inavouée de la perception que portent les enfants à l’égard du monde ? Toujours est-il que le traitement ne fait guère de concessions sur la violence, davantage psychologique que physique, dont ils sont les premières victimes. Une œuvre sépulcrale qui suggère une subtilité sous-jacente inattendue.