La Guerre des Mondes
Certaines œuvres sont ancrées dans l’imaginaire collectif si bien qu’elles font l’objet de variations et révisions à des intervalles plus ou moins réguliers. Hasard des plannings télévisuels, La Guerre des mondes a bénéficié de deux nouvelles adaptations sorties quasi simultanément à la fin 2019. La version de la BBC se voulait assez proche de son modèle littéraire avec une reproduction historique de qualité et un récit immersif. Aussi, la production de Canal + s’impose comme son antithèse et s’éloigne sciemment du roman, comme de ce qui a pu être fait auparavant avec le matériau de base. S’agit-il d’une vision audacieuse ou tronquée par un traitement complètement hors de propos ?
Si le contexte contemporain a déjà été emprunté par le film de Spielberg en 2005, la transposition s’est faite en s’appuyant sur une progression relativement semblable. Or, cette guerre des mondes s’affranchit d’emblée de toute comparaison avec les précédentes adaptations, comme avec le livre de H.G. Wells. La disparité est telle que la série aurait pu (et aurait dû) s’appeler autrement. Hormis une invasion extraterrestre éclair, il n’y a aucun point commun ou ceux-ci sont suffisamment rares pour ne pas s’y attarder. Dès lors, la présentation est trompeuse et s’écarte du schéma narratif attendu. Par ailleurs, l’entame n’est guère rassurante.
La tonalité générale laisse transparaître une passivité qui ôte toute crédibilité aux personnages. Le sentiment d’imminence se heurte à des échanges circonspects, presque indolents face à l’urgence que les évènements suggèrent. En ce sens, la caractérisation et l’interprétation sont fluctuantes selon les points de vue observés. La frontière franco-britannique s’impose alors comme une scission évidente dans la mise en scène avec des styles dissemblables très marqués. À titre de comparaison, la série Tunnel, elle-même dérivée de The Bridge, présentait une réalisation plus équilibrée dans l’alternance des séquences en France, puis au Royaume-Uni.
Au sortir de ces considérations et de cette perfectibilité apparente, la progression se révèle assez efficace dans son traitement « humain » du cataclysme. Les ressorts dramatiques fonctionnent, notamment dans le background des personnages ou encore la perte d’un ou de plusieurs survivants. La narration s’attarde grandement sur les émotions et le ressenti propres à une potentielle fin de l’humanité. En cela, le nihilisme sous-jacent concourt à développer une ambiance pesante, où il est particulièrement difficile d’entrevoir un sens à la survie. Celle-ci se focalise essentiellement sur la recherche de vivres et d’un refuge provisoire.
À ce titre, cette version a fait l’objet d’une comparaison avec The Walking Dead. Du point de vue de l’atmosphère et de l’exploration des ruines de la civilisation : pourquoi pas ? En revanche, le rapprochement s’arrête là, car La Guerre des mondes écarte toute velléité propre à la cruauté humaine. L’affrontement se tient uniquement entre les hommes et les extraterrestres ou plutôt leurs émissaires en la présence de robots canidés. Les tensions et les heurts sociaux sont l’objet de divergences, mais jamais d’une embuscade ou même d’un vol. Hormis quelques réactions égoïstes, le comportement demeure assez pragmatique en ces circonstances. Ce qui peut étonner.
Au vu du tournant emprunté, les effets spéciaux restent nettement en retrait. Exception faite du nuage dédié à l’attaque électromagnétique et des sentinelles à mi-chemin entre machine et animal, on écarte le moindre aspect spectaculaire. Il n’est même pas question de mettre en scène les tripodes. Quant à l’exploration de l’environnement, l’ensemble demeure assez convaincant avec une diversité entre le cadre urbain, prédominant, et quelques excursions en milieu rural. Pour l’un, comme pour l’autre, l’exposition des décombres, des corps et des véhicules enchevêtrés est suffisamment évocatrice pour faire illusion.
Au final, La Guerre des mondes vue par Canal + laisse perplexe. Face à la tournure de l’intrigue, il est même difficile de parler d’une libre adaptation. Malgré un début laborieux et une perfectibilité évidente dans le développement des protagonistes, la tonalité dramatique vient soutenir le réalisme latent du cataclysme. Hormis la présence des sentinelles, la cause du déclin de l’humanité pourrait se trouver dans une raison toute différente… On apprécie donc cette manière de faire évoluer les personnages dans un environnement dénué d’espoir, à tout le moins un sentiment suffisamment ténu pour exacerber la vulnérabilité de leur situation. Il est d’autant plus dommage que l’interprétation et certains comportements soient discutables. Des défauts et un parti pris qui partageront forcément le public.
Saison 2 : 4/10
Un film de Gilles Coulier, Richard Clark
Avec : Adel Bencherif, Gabriel Byrne, Stéphane Caillard, Léa Drucker