Le Sorcier Macabre
Edmund, journaliste atypique, se rend un soir dans un spectacle de magie en compagnie de sa petite amie. Sur place, il est subjugué par le réalisme et la violence des tours. Il essaye d’en savoir davantage sur l’illusionniste, mais il ignore qu’il s’engage dans des investigations incertaines et dangereuses.
Depuis un certain temps, les surprises surgissent là où on les attend le moins, c’est-à-dire directement dans nos salons sous forme de petit objet circulaire à visionner sur nos écrans plats (ou tube cathodique pour les derniers résistants). Il faut croire que les salles obscures regorgent plus de sombres fumisteries ou de grosses déceptions qu’auparavant. Aussi, il est très difficile d’étonner un public de connaisseurs. La pléthore de remakes fait à la va-vite ces dernières années en est le parfait exemple.
Instant détente en compagnie de charmantes sangsues !
Fort heureusement, il y a toujours de bons petits films, pas forcément connu de la majorité, qui prend à contre-pied nos attentes. Des productions en marge de la norme qui aiment innover, prendre des risques. Rien que pour cela, ces films méritent que l’on s’y attarde. Wizard of gore fait partie de cette catégorie. Le genre de productions que l’on regarde, curieux, sans trop savoir de quoi il en retourne. D’emblée, ce remake d’un film des années 1970 parvient à instaurer une ambiance étrange et décalée. On se rend compte que le film a bénéficié de moyens réduits. Un grain d’image pas toujours très fin, quelques écueils au niveau de la mise en scène, mais qu’importe puisque les idées et la volonté sont belles et bien présentes pour faire le reste.
Au menu de ce soir : brandade d’asticots en entrée. Un met des plus ragoûtants !
Tel un personnage à part entière, on entre dans cette vaste salle où le spectacle peut commencer. Imperceptible, l’étrangeté du film gagne la foule. Murmures, étonnements, une sorte de clochard met le public en condition pour les exactions qui vont suivre. Puis le clou du spectacle surgit de nulle part en la présence de l’impeccable Crispin Glover. Illusionniste totalement déjantée, il capte son audimat par une gestuelle forte et des mots savamment choisis. La torture subit par la malheureuse assistante provisoire s’en retrouve alors transcender par le simple fait d’y croire nous-mêmes. Un tour de force de la part de l’illusionniste qui maîtrise de bout en bout le moindre détail de son spectacle. L’ambiance de foires aux monstres finit de capter notre attention grâce à une musique ensorcelante.
« Vous êtes un public formidable ! »
On notera également le soin apporté aux décors. Ils offrent un contraste déroutant sur les personnalités de chacun et de l’époque où se déroule l’intrigue. Malsain et putride, il suinte de ces endroits une indicible impression d'excentricité et d’angoisse. Le style vestimentaire occupe également une part importante dans l’immersion du spectateur. Les costumes rétro d’Edmund sorti tout droit des années 1940 ou 1950 ; les figurants, principalement gothiques et punks ; sans oublier Montag qui tranche littéralement avec son costume blanc immaculée, sorte de grand gourou qui se trouve en haut de cette hiérarchie improbable. Tout est entrepris pour nous mettre en déroute et manipuler notre perception à la guise du cinéaste qui, à sa manière, est également un illusionniste.
« Ne bougeons plus, je vous prie. A trois, je vous découpe en morceaux... Trois ! »
Changement de point de vue, illusions auditives et visuelles. Les petites astuces immersives ne manquent pas et se joue de nous. La folie gagne le protagoniste. Plus qu’un récit qui suit son court, Wizard of gore est une expérience visuelle singulière où les peurs et les doutes d’Edmund prennent vie sous forme d’hallucinations manifestes. Angles de caméras tordus (le cinéaste tend à en abuser, même si cela permet d’accentuer l’oppression subit par Edmund), cadre alternatif qui revêts des aspects plus qu’intrigants, délires de la personnalité et paranoïa accentuée ; tout semble prendre consistance sous nos yeux. De fait, le spectacle ne prend pas fin avec les tours de Montag le magnifique, mais continue à vivre à travers les perceptions d’Edmund. Incertitudes. Déstabilisation. Voilà ce que l’on ressent au vu d’un maelstrom de sensations aussi contradictoires qu’enivrantes.
Vous la souhaitez bien cuite ou saignante ?
Toutefois, ces excellents atouts ne doivent pas nous faire oublier des errances parfois malvenues, mais le plus souvent pardonnables face à tant d’inventivité et de ressenti. Plus l’intrigue avance, plus elle s’emmêle les pinceaux ; si bien que la confusion nous gagne rapidement. Il faut sûrement voir le film à plusieurs reprises pour en saisir toutes les subtilités, mais force est d’admettre que le final nous laisse hagard et perplexe. Peu ou prou d’explications sur la destinée alambiquée d’Edmund, des pans de l’histoire qui demeurent obscurs, ainsi qu’une fâcheuse manie à user de raccourcis et autres subterfuges pour parvenir à cela. Lorsque le générique de fin se déroule (pas forcément dans le sens où l'on s’y attend), on demeure interdit face à un récit qui s’est entortillé sur lui-même en laissant certaines interrogations subsistaient.
« J’espère que vous avez apprécié le spectacle. Sinon, il y a des chances pour que vous soyez mon prochain assistant ! »
Vous l’aurez compris, la narration peine à certains moments pour retrouver ses repères. Il n’en demeure pas moins que la petite intrigue simpliste de départ s’affranchit des velléités du genre pour mieux nous prendre au dépourvu. Compte tenu de sa complexité sous-jacente et son attirance non feinte pour brouiller les cartes entre illusion et réalité (après tout n’est-ce pas l’objectif d’un tour de magie ?), on ne peut lui en tenir rigueur plus que de raisons.
Un film de Jeremy Kasten
Avec : Crispin Glover, Kip Pardue, Bijou Phillips, Jeffrey Combs