Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg - Compte-rendu 2013

 

Le film de Zack Parker, Proxy, malgré ses quelques défauts, restent beaucoup plus intéressants que Cheap Thrills, réalisé par E.L. Katz, jeu de massacre faussement jouissif lui aussi présenté hors compétition. Craig, citoyen sans histoire, accumule les problèmes d'argent et vient de perdre son emploi. Il croise son ancien pote du lycée, Vince, dont il était resté sans nouvelles depuis des années. Tous deux se font rapidement alpaguer par un couple étrange de millionnaires désabusés qui les invite à boire des coups et leur lance des défis plus improbables les uns que les autres, avec des sommes improbables à la clef. Comme souvent depuis quelques temps, les thrillers américains sombrent dans une violence gratuite en prétendant s’affirmer politiquement. A la manière de You're next d’Adam Wingard, que nous avions chroniqué à l’occasion du dernier festival de Gérardmer, Cheap Thrills constitue l’exemple-type du film de genre malin et provocateur qui se moque à la fois des personnages qu’il propose et des spectateurs dans la salle. Si Cheap Thrills est mieux shooté que le film de Wingard, il s’en dégage le même cynisme. Aucun humanisme, aucune ambiguïté, et pire, aucune nuance ne viennent jamais tempérer le propos. Le récit n’est finalement qu’un prétexte ostentatoire à une succession de clichés et de jugements péremptoires sur « l’état de la société aujourd’hui », comme si le film prétendait réfléchir un sujet qu’il ne cherche même pas réellement à saisir. Car, si l’on peut comprendre la motivation première des deux personnages principaux, dont la misère financière les pousse à relever les défis proposés pour se faire de l’argent rapidement, on ne peut qu’être dubitatif voire franchement révulsé lorsque ces jeux tournent à l’humiliation pure et simple alors même qu’aucun des deux protagonistes ne réalisent deux secondes l’immoralité de la situation dans laquelle ils se trouvent. Que l’être humain en situation de détresse se révèle violent et vénal, pourquoi pas. Que le récit en tire parti pour asseoir un discours putassier sur la condition humaine, voilà qui semble éminemment plus scandaleux, d’autant plus que le réalisateur ne semble jamais éprouver ne serait-ce qu’une certaine sympathique à l’endroit des personnages qu’il dépeint. Bref, Cheap Thrills est la quintessence du thriller faussement politique qui ne fait que tirer à boulet rouge, avec une duplicité qui fait froid dans le dos, sur une condition humaine dont il ne tente pas un seul instant de comprendre la complexité.

C’est exactement l’inverse du dernier film de Lucky McKee, All Cheerleaders Die, revenge movie façon Kill Bill de Tarantino. Réalisé avec Chris Siertson, auteur de l’intéressant The Lost, All Cheerleaders Die est une œuvre brillante et déjantée, à la fois en correspondance avec les précédentes réalisations de McKee et décalée en raison de la multiplicité des genres qu’il investit. Après une séquence introductive façon found footage relatant la mort d’une pom-pom girl en plein exercice, les deux réalisateurs se tournent tour à tour vers le teen movie, le récit de vampire, l’évocation sociale des ados d’aujourd’hui et le film de vengeance à proprement parler. La force principale du film est de rendre attachantes ces adolescentes a priori totalement superficielles. Les variations de genres et de registres intiment le spectateur à appréhender différemment la jeunesse dépeinte au moyen de séquences décalées durant lesquelles la force de caractère de ces ados apparaît au grand jour. Chaque séquence introduit une nouvelle rupture par rapport à la précédente, selon un jeu de déconstruction des attentes à la fois jouissif et soigné. C’est précisément par cet enchaînement de ruptures de ton, par ces jeux constants sur l’attendu et l’inattendu que le cinéaste donne de la chair à ses personnages. Si McKee prend le parti de verser dans une outrance graphique, proche du comic book, que ses précédentes œuvres laissaient peu présager, c’est toujours pour donner une réelle substance à ses protagonistes féminins. Si All Cheerleaders Die prend le parti de surprendre sans cesse les attentes des spectateurs, c’est pour brosser le portrait, jouissif et touchant, d’une bande de gamines désireuses d’échapper au destin que leur position sociale leur a tracé. Et, pour reprendre les termes du réalisateur lui-même à l’occasion de la présentation de son film, le jeu sur les variations de registre est précisément le révélateur de la vie d’un adolescent, sans cesse tourmenté par une multitude de sentiments : la tristesse, la joie, la colère, le ressentiment. Et quoi de plus touchant que d’utiliser le langage cinématographique pour traduire les sentiments contradictoires des ados.

Dans le cadre de la compétition officielle, The Returned a particulièrement retenu notre attention. Réalisé par le metteur en scène espagnol Manuel Carballo, The Returned est une œuvre déchirante dont la dimension horrifique n’est finalement qu’un prétexte à l’évocation d’un couple qui vit ses derniers jours. La planète est secouée par une épidémie qui transforme les individus en zombies. Les vaccins existent mais les stocks mondiaux ne cessent de décroître, au grand dam de Kate, médecin en charge des « revenants » (les humains-zombies « revenus » à la vie par le biais du sérum), dont le mari a lui-même été mordu plusieurs années auparavant et ne doit sa survie qu’à l’injection quotidienne du vaccin. L’intelligence du film de Carballo est de proposer une alternative salutaire au récit de zombies façon Romero : en lieu et place d’un film d’horreur à proprement parler, le cinéaste espagnol propose de suivre la lutte pour survivre menée par  un couple qui se sait condamné et qui tente de trouver des médicaments puis d’échapper aux autorités pour gagner quelques jours et profiter de leur amour. S’il faut d’ailleurs attendre une heure pour qu’un zombie apparaisse à l’écran, la brièveté des apparitions ne fait que renforcer la violence des quelques scènes horrifiques qui émaillent le récit. En réalité, c’est précisément en raison du climat zombiesque que l’histoire d’amour, en contrepoint, prend de plus en plus d’ampleur. Ce n’est pas la cause du fléau qui intéresse le réalisateur, mais les conséquences que la situation politique engendre pour le couple, contraint de se cacher pour espérer s’en sortir. Les dernières séquences du film sont particulièrement marquantes, tant par la position dans laquelle se trouve le mari, obligé de s’enchaîner pour éviter, lors de sa « transformation » morbide, d’attaquer sa propre femme, que par le twist final, qui indique le sens que risque de prendre la vie de Kate à la suite de la disparition de son mari. Sans jamais verser dans le pathos, avec une retenue qui force le respect, le réalisateur ibérique met en place un récit touchant dont les quelques arcs narratifs certes trop voyants ne viennent jamais déconstruire l’intelligence et l’émotion.

Pages

Thématiques