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L'Ange de la Vengeance

La première œuvre majeure d’Abel Ferrara, dont la beauté visuelle et plastique, la composition hallucinante de Zoé Tamerlis, ainsi que la musique psychédélique de Joe Delia, vous hanteront pendant longtemps.
Publié le 1 Janvier 2008 par Ghislain BenhessaVoir la fiche de L'Ange de la Vengeance
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Au début des années 80, après la réalisation de son premier « véritable » film Driller Killer, Abel Ferrara est encore un cinéaste méconnu et singulier. Ayant fait ses armes dans le milieu pornographique – il y réalise son premier film, Nine lives of a wet pussy – Abel Ferrara est un cinéaste marginal, rebelle, qui montre un goût certain pour les tournages « à vif » dans les bas-fonds de New-York, ville pour laquelle il développe une réelle fascination. Il aime déjà tourner rapidement, laisse ses acteurs improviser, et trouve rapidement en Nicholas St. John et Joe Delia, respectivement dans le domaine du scénario et de la musique, ses plus fidèles collaborateurs, qui l’accompagneront dans la suite de sa carrière. Abel Ferrara, dans L’Ange de la vengeance, respecte les codes du « vigilant movie » (« film de vengeance »), structure narrative dont les premières lettres de noblesse ont été écrites par Michael Winner dans son célèbre film Death Wish (Le justicier dans la ville) avec Charles Bronson. Plus précisément encore, L’ange de la vengeance est un film conçu selon les arcanes du « rape and revenge movie » (« film de meurtre et de vengeance »), sous-catégorie au sein des « films de vengeance », selon laquelle l’héroïne, après avoir subi un viol, cherche à retrouver son agresseur afin de venger son honneur.

Cependant, Abel Ferrara ne respecte pas à la lettre les codes du genre dans lequel son film s’inscrit. Son propos n’est pas tant d’utiliser lesdits codes mais de les transgresser afin de dépasser le sujet initial - la quête de vengeance d'une femme meurtrie - et de dresser le portait, romantique et sombre, excessif et radical, d’une jeune femme qui va basculer dans la violence pure comme mode de résolution des conflits. En effet, Thana, incarnée par Zoé Tamerlis, ne va pas simplement chercher à se faire justice elle-même : traumatisée par les deux viols successifs qu’elle subit (dans la même journée), cette jeune femme sombre dans une sorte de « folie organisée », où chaque personne de sexe masculin va constituer, pour elle, un ennemi fondamental qu’il va falloir éradiquer. C’est pourquoi, le sentiment de vengeance ressenti par cette femme – sentiment compréhensible dans une situation pareille – est accompagné d’une paranoïa grandissante envers la société dans son ensemble, qui va la pousser, peu à peu, à détruire le monde dans lequel elle vit. Couturière appréciée par ses collègues durant la journée, elle se métamorphose en femme fatale durant la nuit, hantant les rues de New-York avec son calibre 45, arme qu’elle récupère à la suite du deuxième viol (elle tue son agresseur, récupère son arme, le découpe en morceaux et dispatche son corps en jetant certaines parties dans les poubelles de la ville et en donnant le reste à manger au chien de sa logeuse). Elle commence donc son métier de « nettoyeuse » et tue certains hommes sans même effectuer de réelle sélection dans son choix : elle liquide tour à tour des petites racailles de quartier, un cheikh saoudien en visite dans la ville, un pauvre bougre fraîchement séparé de sa femme… Thana s’enfonce profondément dans une folie meurtrière, dont la logique interne échappe rapidement au spectateur. D’ailleurs, il faut bien remarquer que le but qu’elle poursuit n’est plus de tuer son premier agresseur - qu’elle ne retrouvera d’ailleurs jamais - mais de détruire la « race » masculine dans son ensemble.

A ce sujet, il est nécessaire d’insister sur la qualité du jeu de Zoé Tamerlis, qui donne au personnage de Thana une densité saisissante, laissant le spectateur dans l’incertitude la plus totale : doit-on éprouver une légère compréhension pour les meurtres perpétrées par la jeune muette ? Doit-on croire que ce déchaînement de violence est « justifié » par les deux viols ? Ou, au contraire, cette jeune femme, par son handicap, par sa vie bâtie « à l’écart » des rapports sociaux classiques du fait de son incapacité à communiquer, est-elle instable par nature ? Etait-elle une proie psychologiquement plus faible qu’une personne disposant de toutes les facultés « normales » ? La superbe composition de Zoé Tamerlis, par son ambiguïté constante, par son mélange de douceur, de violence contenue et de sadisme, renforce l’aspect composite du portait de femme dressé par Ferrara. Rarement le cinéma des années 80 n’aura réussi à montrer d’aussi près la personnalité complexe d’un être humain, partagé entre fragilité et tentation de commettre le pire.

Cette volonté de disséquer l’origine, l’essence, l’apparition du mal, correspond, bien entendu, à l’une des thématiques récurrentes dans le cinéma de Ferrara. Dans l’une de ses plus passionnantes œuvres, The addiction, qui date de 1995, Abel Ferrara emprunte les codes du film de vampires pour étudier la question du mal et de la prise de conscience des atrocités perpétrées par le genre humain. Loin de reléguer le mal dans la catégorie du concept, Ferrara en fait le penchant naturel de toute l’humanité, l’écueil inévitable que chacun doit connaître et dont chacun doit prendre conscience. L’initiation au mal est la seule possibilité pour pouvoir éviter de tomber sous son emprise : comme The addiction en fait la démonstration, cette initiation passe par la perte du « moi » conscient, par la dissolution des repères véhiculant la partie émergée de notre personnalité, par l’immersion dans les abîmes de notre subconscient et de notre être. Pour pouvoir aborder l’être humain dans sa totalité, encore faut-il, comme le disait Heidegger, restait toujours « en éveil », afin de ne pas se laisser tromper par des pseudos évidences qui poussent l’Homme à se détourner de l’essentiel, de son être, de ce qu’il « est », dans son intériorité, loin de toute distanciation. Il faut nécessairement écarter les stratifications techniques pour rester au contact du vrai. L’ange de la vengeance insiste également sur ce voyage initiatique, sur cette quête du « moi », le film mettant en scène la déchéance d’une jeune femme détruite par la sordide réalité de notre monde et découvrant l’existence de sa partie « démoniaque » à la suite d’un viol.

Naturellement, il est nécessaire de ne pas mettre ce premier bijou de Ferrara entre toutes les mains. Par la violence de certaines scènes (les scènes de viol, ainsi que la scène finale du bal, durant lequel Thana, déguisée en nonne, va commettre un véritable carnage), ainsi que par son côté réactionnaire (l’œuvre peut être analysée, de prime abord, comme une apologie de la vengeance privée), le film de Ferrara reste une œuvre pour initiés, cinéphiles habitués à ce type de cinéma, « brut de décoffrage », violent et agressif. Néanmoins, par la beauté de certaines séquences (le style visuel de Ferrara est absolument superbe, proche d’une forme de poésie visuelle et violente), par la fascination que procure la musique de Joe Delia (notamment le thème joué au saxophone lors de la scène du bal), L’ange de la vengeance constitue bien le premier chef-d’œuvre du cinéaste new-yorkais. Les principaux thèmes du cinéma de Ferrara sont posés : la question du mal, la recherche de la rédemption, la quête vers la connaissance de soi. Mais ce n’est que plus tard, par le biais de ses deux films à « gros » budget, The King of New-York, en 1990, avec Christopher Walken, ainsi que Bad Lieutenant, en 1992, dans lequel Harvey Keitel tient le rôle principal, que Ferrara obtiendra une véritable reconnaissance internationale.

Merci au site DVDrama, pour les captures du DVD édité par Aquarelle

A propos de l'auteur : Ghislain Benhessa
Portrait de Ghislain Benhessa

J'adore le cinéma depuis très longtemps. Ma motivation a toujours été de voir quelles sont les questions que les films me posent, en quoi toute image, de par son utilisation, peut se révéler source d'évocations à destination du spectateur. Le cinéma d'horreur parvient précisément à utiliser ses codes pour suggérer des émotions et des idées.

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Sortie France:
Durée:
81 min
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