Le fantôme de Milburn
Adapter un roman pour le grand écran est toujours délicat. Si l’on part du principe que le livre est un best-seller, l’attente des lecteurs est une pression supplémentaire pour la production. Or, il existe deux types d’adaptation: celle purement mercantile qui se moque bien de l’histoire originelle et des personnes qui l’apprécient. Celle qui tente de coller au plus juste à la vision de l’auteur pour offrir un métrage cohérent et respectueux, n’en déplaise à quelques infidélités narratives. L’entreprise est encore plus délicate quand l’œuvre atteint le statut de classique dans son domaine. Le fantôme de Milburn fait-il honneur à son modèle littéraire?
Outre un budget et un format limités, cette production part avec de nombreux écueils avant même que le film commence. La densité du roman (notamment en ce qui concerne la structure et la progression de l’intrigue) ne peut entrer dans le cadre d’un long-métrage qui dure moins de deux heures. Même avec des coupes drastiques, on ne se rapproche guère du matériau de base. L’initiative a beau exister, il n’en demeure pas moins qu’on a l’impression d’avoir un résumé quatre étoiles du livre en oblitérant une majeure partie des éléments annexes qui permettaient de donner vie à la petite ville de Milburn.
Où sont passés les personnages secondaires qui donnaient le change au quotidien des membres de la Chowder Society? D’ailleurs, le club est amputé d’un de ses protagonistes, Lewis Benedikt. Sans s’amuser au jeu des différences, les divergences sont nombreuses quand il ne s’agit pas d’oublis purs et simples pour des raisons plus ou moins justifiables. Lawrence D. Cohen, le scénariste qui a notamment travaillé sur l’adaptation de Carrie et de bien d’autres œuvres de Stephen King par la suite, modifie l’importance du quatuor de tête, altère leur rôle et leur mort au fil de l’intrigue. Sans connaître le livre, l’illusion fonctionne, mais pour les inconditionnels de Peter Straub, le constat se révèle discutable.
Certes, les axes principaux répondent présents à l’appel. On a droit à deux flash-back qui permettent d’éclairer le nœud du problème, une ou deux histoires contées par la Chowder Society et la progression lancinante vers le point de rupture en entretenant un fort sentiment de culpabilité. Cela reste bien amené, même si, là encore, tout ce qui fait le charme et l’atmosphère de la petite ville de Milburn paraît secondaire. Ici, la bourgade se contente de panoramas figés, de quelques rues désertes qui ploient sous la neige. Ces plans extérieurs, assez rares, desservent l’ambiance si particulière qu’on retrouvait au fil des pages.
Autre difficulté notable: les personnages. Dans le roman, la place qui leur était allouée permettait un traitement exceptionnel où l’on se faisait une idée précise de leur importance, leur caractère et leurs réactions au regard d’événements paranormaux. Le fantôme de Milburn ne fait qu’effleurer chacun d’entre eux en retirant l’essentiel de ce qui les définit. Dommage, car le casting est impeccable autant par leur présence que par leur interprétation. Entre remords et impuissance, il en émane une vulnérabilité permanente prompte à susciter l’appréhension et l’angoisse latente chez le spectateur. De là à dire que les acteurs sauvent le film d’un piètre état des lieux, il n’y a qu’un pas.
Au final, Le Fantôme de Milburn est une adaptation en demi-teinte. Très éloignée du roman de Peter Straub au niveau de l’ambiance qui s’en dégage. L’histoire va à l’essentiel en occultant de nombreux éléments indispensables à son bon déroulement. L’ensemble a beau demeurer cohérent, l’intrigue fait se succéder les séquences sans vraimentleur conférer la puissance et l’étrangeté que l’on retrouvait au fil des pages. Pour ceux et celles qui n’ont pas lu Ghost Story, il en ressort un film d’épouvante honnête aux charmes désuets. Pour les autres, le récit paraîtra fade tant il est amputé de tous les côtés et n’hésite pas à transformer certains passages ou personnages, format cinématographique oblige.
Un film de John Irvin
Avec : Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks Jr., John Houseman