Les Oiseaux
Si l’on ne compte plus les chefs d’œuvre d’Alfred Hitchcock, il subsiste des films emblématiques qui ont marqué le septième art. Fenêtre sur cour, Psychose, L’Inconnu du Nord Express, Rebecca... Cette dernière production était d’ailleurs une adaptation d’un roman de Daphne du Maurier. L’auteure avait aussi écrit une nouvelle dont l’illustre cinéaste s’inspire librement pour Les Oiseaux. Le présent métrage est réputé, entre autres, pour avoir posé les bases de ce qui deviendra par la suite le survival animalier. Derrière ce statut de précurseur, on devine également un modèle de narration et de suspense qui, encore aujourd’hui, demeure une référence en matière de mise en scène.
Alors que le pitch initial suggère un contexte relativement grave, l’entame s’avère légère. Le duo en tête d’affiche se découvre par le biais d’un jeu de séduction à moitié avoué qui vient justifier le changement de cadre, plus que l’intrigue elle-même. Mais ce choix n’est pas le seul élément du film à prendre les attentes du spectateur à contrepieds. Le cœur de l’histoire ne survient que tardivement. Avant de se confronter aux volatiles, on a droit à une mise en place méticuleuse qui fait la part belle au développement des personnages. Dès lors, l’exposition tient à présenter chaque intervenant, même secondaire.
Cela passe notamment par la présence de Melanie Daniels qui contraste avec le cadre campagnard et isolé de Bodega Bay et la présentation de certains habitants de la petite ville côtière. En ce sens, les dialogues et les échanges s’avèrent assez denses pour travailler la caractérisation sous couvert de personnalités et de perspectives de vie dissemblables. Cette progression mesurée permet également d’avancer un quotidien banal qui se heurte à une situation extraordinaire, pour ne pas dire improbable. En l’occurrence, l’épouvante demeure dans un réalisme assumé. Celui-ci a beau se teinter de mystères, il ne cède pas aux sirènes du surnaturel.
Peu de pistes de réflexion sont évoquées pour justifier ces attaques successives, même sous couvert d’explications rationnelles ou scientifiques. Hitchcock se focalise sur l’instant, sur la survie, et non sur la compréhension. À certains égards, le constat paraît déroutant, car il ne s’agit pas d’une espèce particulière, mais de plusieurs oiseaux; des mouettes aux corbeaux. Une impression accentuée par le comportement des volatiles qui semble concerté. Ce n’est pas tant un instinct qui anime leurs intentions, mais plutôt une préméditation moins animale qu’humaine. De là à considérer une critique avant-gardiste sur une rébellion de la nature, il n’y a qu’à s’attarder sur le sort réservé aux oiseaux en début de métrage ou à ses inséparables en cage pour s’en convaincre.
En revanche, les trucages ont quelque peu pris du plomb dans l’aile au fil des années. S’ils paraissaient saisissants à l’époque, ils affichent désormais un côté suranné. Cela passe par la superposition d’images sur les séquences principales ou certaines techniques propres au tournage en studio, comme les phases de conduite. Rien de foncièrement préjudiciable, mais des effets qui atténuent la qualité de la mise en scène et les prouesses de dressage effectuées par l’équipe. À noter que les bruitages et les cris d’oiseaux sont aussi désuets et peu réalistes, accentuant le trait sur la violence des attaques sans pour autant insister sur leur dangerosité immédiate.
Au final, Les Oiseaux demeure un classique du cinéma. Avec une présentation des personnages et du cadre rigoureuse, le film d’Alfred Hitchcock explore une autre manière d’instiller le suspense dans une histoire. Sans fournir d’explications, l’atmosphère se révèle oppressante puisque l’un des grands contrastes tient à l’apparence inoffensive des volatiles et la soudaineté de leurs attaques. Le fait qu’ils adoptent une «stratégie» concertée accentue le sentiment d’angoisse chez le spectateur. Si ce n’est les écueils du temps sur le plan des effets spéciaux, Les Oiseaux préserve toute sa force évocatrice. À l’instar de ce figurant qui clame la fin du monde, le dénouement se pare d’une aura apocalyptique, où de sombres présages planent sur Bodega Bay...
Un film de Alfred Hitchcock
Avec : Rod Taylor, Tippi Hedren, Jessica Tandy, Suzanne Pleshette