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Miami Vice - Deux flics à Miami - Critique

Miami vice est un très beau film, qui ne correspond en rien au polar auquel on pouvait légitimement s’attendre. Michael Mann filme une histoire d’amour, avec la maîtrise formelle qui est la sienne. Quelques scènes sont moins réussies (impératifs des studios ?), mais de superbes séquences subsistent.
Publié le 1 Janvier 2008 par Ghislain Benhessa
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Le dernier film de Michael Mann, Miami vice, avec ses vedettes Colin Farrell et Jamie Foxx, est une curiosité. Annoncé comme « le » blockbuster de l’été 2006 à sa sortie en France, Miami vice – qui, en théorie, devait être l'adaptation de la série du même nom, connue en France sous le titre de Deux flics à Miami- se révèle très différent de ce que les fans de la série pouvait attendre : aucune trace d’humour ou de « bling-bling » estival, des plans froids et volontairement impersonnels, voire chirurgicaux, une intrigue policière un peu confuse et rapidement délaissée par le réalisateur. Dès lors, le cinéaste choisit de reprendre les thèmes qu’il avait déjà abordés dans ses derniers films et d’en réaliser une variation, formellement brillante. Toujours autant fasciné par l’immensité des villes américaines, par le lien unissant le tragique, la nuit, et l’âme humaine, Mann s’extirpe rapidement de son sujet initial – nos deux policiers infiltrent un cartel colombien et rencontrent rapidement son chef, Jesus de Montoya – pour se concentrer sur l’histoire d’amour entre Colin Farrell (alias Sonny) et Gong Li (alias Isabella, la superbe « partenaire » de Montoya).

Mann prend ainsi le spectateur totalement à contre-pied. Pour qui s’attendait à un film d’action musclé, rapide, nerveux, rythmé, regorgeant de belles femmes se pâmant sur les plages de Miami en plein soleil, truffé de clins d’œil humoristiques ou ironiques (façon Bad boy), le spectacle fourni par le réalisateur américain peut se révéler être une vraie déception. Les plans de Miami montrent la ville principalement la nuit, la caméra de Mann enveloppant la cité américaine d’un voile sombre et crépusculaire, dans lequel les âmes de nos deux héros scintillent telles les deux dernières flammes vacillantes d’une société corrompue. L’utilisation de la caméra Haute Définition accentue d’ailleurs cette impression, donnant au film une couleur froide, intemporelle, grise, qui rappelle ses précédents films, principalement Heat et Collateral. Point de salut dans la nuit floridienne : le tragique rôde à chaque coin de rue et les mouvements de caméra saisissent les regards dans toute leur complexité. Néanmoins, dans cette atmosphère de désespoir, l’étincelle provoquée par une histoire d’amour va relancer la foi du cinéaste et la dynamique du film.

En effet, alors que le début du film prend un tour alambiqué et tourmenté, formellement superbe mais un peu vain, Mann effectue un virage à 180° et tourne le dos au polar pour se lancer dans l’histoire d’amour, belle, brutale et désespérée, entre Sonny et Isabella. Quelques indices, dès le premier quart du film, laissaient planer le doute quant au genre dans lequel cinéaste avait réellement choisi de se lancer : il suffisait de quelques secondes et le génie de Mann commençait à se manifester. Sonny, en pleine dispute avec un indicateur, regarde au loin, vers l’horizon, alors que le bleu métallique de la mer et du ciel, sous la caméra de Mann, est magnifié par l’apparition d’une musique légère et métaphysique (quelques notes bien choisies) dont le réalisateur américain seul a le secret, et c’est toute l’œuvre du cinéaste qui se livre et nous montre le chemin.

Non, le film de Mann n’est pas un polar. Même si les quelques scènes musclées sont, comme d’habitude, très bien exécutées (la scène finale de fusillade renvoie tous les apprentis sorciers du cinéma d’action dans leurs placards possiéreux), le ton du film « se transforme » au fur et à mesure, pour la joie de tous les inconditionnels du cinéaste. Car Mann n’a jamais été un réalisateur de genre, n’en déplaisent à ceux qui n’ont rien compris à son cinéma. Il est le cinéaste de la métaphysique, celui qui sait à la perfection utiliser la forme pour accéder à des questions nihilistes classiques, propres au cinéma de genre, mais qui, deviennent, sous sa caméra, des problématiques universelles. A nouveau, dans Miami vice, Mann s’attarde sur les grands questionnements qui marquent son cinéma depuis quelques années : la solitude de l’homme, la quête de construction pour les êtres seuls, perdus dans le néant, la difficile conciliation entre l’éternité, l’universalité à laquelle l’âme humaine aspire, et les délimitations que la civilisation et la vie nous imposent sans cesse. D’ailleurs, les nombreux plans de la ville de Miami, magnifiquement filmée, dans son urbanisation outrancière et déshumanisée, représentent cette « délimitation » à laquelle la société nous contraint, alors que l’Homme, dans sa nature, ne rêve que d’illimité, d’un espace infini qui permettrait à son être intime d’être en adéquation avec le monde qui l’entoure.

L’histoire d’amour que filme Mann est la dernière possibilité pour rendre l’environnement moins oppressant, pour lutter contre l’ordre établi. Car, si les deux êtres qui s’aiment paraissent tout d’abord sur la défensive, l’armure se fend rapidement et laisse entrapercevoir l’être profond des deux protagonistes. Car qu’est-ce que l’amour sinon l’adéquation entre le « moi » et le monde, le passage de la dualité des corps vers l’unité de l’âme, le glissement de l'apparence vers l’être ? En quittant les rives du polar, Mann laisse en plan les apparences pour se concentrer sur le nœud du film, c’est-à-dire l’amour entre deux êtres que tout sépare. Et même si, durant certains passages du film, Mann s’éloigne de son propos pour se concentrer à nouveau sur l’histoire initiale, certains indices propres à son univers (un regard perdu, les étendues marines, des couleurs froides, un sentiment de confusion puis de simplicité formelle…) viennent nous rappeler de la plus belle des manières de quelle façon Mann est resté un artiste, malgré son passage par les grands studios et les impératifs auxquels la production doit le soumettre.

Michael Mann est certainement un des derniers cinéastes à comprendre ce qu’est un film d’auteur, et comment la fiction peut permettre de véhiculer des images, des émotions. Chez lui, la perfection de la forme traverse notre chair et notre esprit, nous remplissant de sensations. Et si son dernier opus souffre de quelques bémols, dus à un scénario parfois mal fichu, l’ensemble nous montre encore une fois combien le cinéaste est important dans le paysage cinématographique américain. Si, par sa virtuosité, Mann est un cinéaste de la forme, il sait utiliser la forme pour exploiter la quintessence matérielle de l’image. Or, le cinéma n’est-il pas avant tout l’art de la perfection formelle, de l'utilisation des images, de la célébration de la fiction, c’est-à-dire le plus beau, le plus doux, et le plus sensuel des mensonges ?

Portrait de Ghislain Benhessa

A propos de l'auteur : Ghislain Benhessa

J'adore le cinéma depuis très longtemps. Ma motivation a toujours été de voir quelles sont les questions que les films me posent, en quoi toute image, de par son utilisation, peut se révéler source d'évocations à destination du spectateur. Le cinéma d'horreur parvient précisément à utiliser ses codes pour suggérer des émotions et des idées.

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