The Bay
Barry Levinson est l'un des réalisateurs les plus éclectiques d'Hollywood. Au cours de sa carrière, il s'est essayé à quasiment tous les genres : la comédie, le drame, le policier, la science-fiction... Même si le succès (critique ou commercial) n'a pas toujours été présent, on peut dire que le cinéaste n'a pas froid aux yeux. On ne s'étonne qu'à moitié lorsque son nouveau film joue dans la catégorie du faux documentaire, sous-genre souvent décrié, parfois soumis à la polémique, mais qui dispose de qualités évidentes. Enfin, si le talent et la volonté de proposer une oeuvre sérieuse sont au rendez-vous. Est-ce le cas de The Bay ?
Miss Crustacé à l'abordage !
Depuis quelques années, les producteurs ont surexploité le found footage de la plus odieuse des manières. Tournant et retournant les mêmes ficelles dans des projets plus ou moins acceptables, ce genre à part entière semblait sur la pente descendante depuis un certain temps et tanguait dangereusement vers le DTV à long terme. En somme, une trajectoire similaire au survival animalier qui ne subsiste que par de trop nombreux navets et de rares films intéressants. Il n'y a qu'à voir une franchise comme Paranormal activity pour comprendre l'ampleur du désastre à venir.
Néanmoins, The bay n'est pas réalisé par le premier venu, ni un tâcheron de bas étage. Le passif du cinéaste, les moyens et les ambitions dont il dispose agrémentent une excellente entrée en matière. Au lieu de se cantonner à un seul type de média (à savoir la caméra amateur), l'on découvre d'autres outils de communication tels que le portable, la webcam, la caméra dans la voiture de police ou de simples appels téléphoniques. Cette pluralité peut paraître ordinaire, mais permet d'exploiter au maximum la technologie pour se concentrer sur le c½ur de l'intrigue.
C'est ce qui s'appelle se salir les mains.
Un scénario qui, au demeurant, s'avère curieux, même s'il s'arroge quelques ficelles piochées au post-apocalyptique et survival animalier. Dans ce sens, les événements ne laissent planer aucune surprise. D'ailleurs, les premières images nous préviennent que toutes les personnes à l'écran sont mortes. Le ton est volontairement sentencieux et entretient un aspect spectaculaire que ne renieraient pas certains documentaires à sensation (vrais ceux-là). En somme, le talent du metteur en scène est un réel atout pour servir une atmosphère savamment étudiée. Le spectateur se sent engagé.
Une implication qui puise sa source également dans le sujet principal : la contamination de la baie. Pollution, écologie, mutation, nucléaire, écosystème ébranlé et autres propos alarmistes (à juste titre) contribuent clairement à la crédibilité des faits. Contrairement à certains films de la même catégorie, The bay s'attarde sur les conséquences d'une industrialisation outrancière bénite par l'incompétence des élus et l'insouciance des locaux. Là où certains se seraient plantés dans la mièvrerie ou la complaisance, Barry Levinson ne s'écarte pas de son film au profit d'une digression malvenue.
Voilà ce qui arrive quand on abuse des crustacés.
À cela, la montée en puissance de l'épidémie se paye le luxe de quelques effets gores savoureux et de morts assez répugnantes. Certes, l'on voit principalement des pustules, des furoncles dans le premier stade de la contamination (ce qui nous laisse penser à un virus), mais la phase finale est nettement plus horrible dans les souffrances qu'elle sous-tend. Cela n'est pas très explicite à l'écran (les habitants vomissent du sang, n'ont plus de langue), mais l'on devine le calvaire à travers les hurlements et leur agonie. Une approche abrupte et intense qui montre que la nature ne fait pas de cadeaux à ses détracteurs.
On restera un peu plus mitigée concernant les protagonistes. Le fait de diviser le film en trois segments dissemblables est une bonne idée. Non seulement les points de vue diffèrent, mais l'évolution temporelle l'est aussi. Le montage est, à ce titre, bien agencé pour ne pas se perdre dans une narration brouillonne et inconstante. Pourtant, les personnages sont trop classiques. L'apprentie reporter paraît trop indécise. Elle ne relate pas assez les événements et les subit plus que de rigueur. Le couple sur le bateau se révèle également très insouciant et très bête lorsqu'il accoste. L'on retrouve un maire peu scrupuleux ou le médecin en chef de l'hôpital prêt à mourir corps et âme pour ses patients. Dans l'ensemble, ces individus ne sont guère convaincants.
Ils sont une légende ?
S'il ne révolutionne pas le genre, The bay est un faux documentaire au-dessus de ses concurrents. Exit les histoires de fantômes, de possessions démoniaques et autres bizarreries éculées. Dans un ton écologique évident, Barry Levinson nous offre un film proche des documentaires à sensation (The cove, Heartlings...) en usant de tous les instruments à sa disposition. Pluralité étant son maître mot, il parvient à créer un moment saisissant, nanti d'une réalisation très professionnel (en dépit du côté amateuriste que le found footage requiert). Il interpelle tout en divertissant sur une note grave et incisive. Légèrement cynique dans sa conclusion (on le serait à moins), The bay est à la fois immersif et sans concession (surtout dans sa dernière demi-heure). Une vérité qui dérange...
Un film de Barry Levinson
Avec : Christopher Denham, Michael Beasley, Lauren Cohn, Kether Donohue